Dans le cadre d’Also Known As Africa 2024, la galerie Chauvy à Paris ouvre ses portes à une exposition parallèle, intitulée « Pouvoirs de la terre », visible jusqu’au 14 décembre. En réunissant les œuvres de quatre artistes majeurs de la scène contemporaine africaine — Adewumi Oyeyemi, Seyni Awa Camara, Sheila Fuseini et Soly Cissé — cette exposition offre une réflexion poignante sur la terre et ses enjeux à l’ère des crises climatiques.
Les artistes, chacun à leur manière, réenchantent notre compréhension du lien sacré qui unit l’humanité à la terre. À travers leurs œuvres, Sheila Fuseini et Adewumi Oyeyemi plongent le spectateur dans un dialogue fascinant entre le passé et le présent, évoquant les désastres diluviens d’antan et leurs échos dans notre réalité actuelle, où inondations et déplacements forcés des populations marquent le quotidien.
Seyni Awa Camara, celle que l’on surnomme la potière de Casamance, aborde son art avec une sensibilité unique. À travers l’argile — umhlaba, la terre maternelle — elle tisse des liens profonds avec l’environnement, exaltant la beauté et la richesse de ce matériau, tout en célébrant ses racines culturelles. De son côté, Soly Cissé, armé d’une ironie délicate, revisite le mythe du Jardin d’Eden, où Ève, loin de céder à la tentation, se métamorphose en serpent, incarnant ainsi le symbole de la régénérescence.
« Pouvoirs de la terre » transcende les simples représentations pour offrir un récit visuel vibrant et interconnecté, qui retrace l’histoire de la Nature et de sa relation symbiotique avec l’humanité. Ce parcours artistique invite le spectateur à se perdre dans un univers où l’argile, avec toute sa force et sa fragilité, devient le fil conducteur d’une exploration passionnante des liens culturels et environnementaux. Cette exposition est une ode à la terre, un appel à redécouvrir notre place dans un monde en perpétuelle mutation.
Adewumi Oyeyemi
Artiste nigérian basé à Ondo City, Adewumi Oyeyemi se distingue par un art engagé et critique qui aborde les crises climatiques impactant les populations de sa région natale. À travers ses œuvres, il élargit son discours en mettant en lumière les interconnexions entre ces enjeux environnementaux et les problématiques socio-politiques de son pays, en particulier en période préélectorale, alors que le sud du Nigeria est frappé par des inondations sans précédent.
Les créations d’Adewumi Oyeyemi s’érigent en métaphores puissantes, enracinées dans l’identité de sa terre et les souffrances qui en perturbent l’harmonie. Son travail tisse des éléments poétiques et symboliques, réactivant la sagesse des proverbes Yorubas. Par exemple, dans sa toile “Flood in Nigeria II“, l’image de l’eau débordant d’un panier en osier fait écho au proverbe : “Qui utilise un panier pour aller chercher de l’eau, se trompe”, une réflexion sur l’inefficacité et les limites face à un monde en crise.
En intégrant des figures inspirées par les mythes autochtones Yorubas, Adewumi Oyeyemi confère une dimension intemporelle à son message, soulignant les défis contemporains tout en résonnant avec les récits ancestraux. Son art devient ainsi un puissant écho des thématiques abordées dans l’exposition « Pouvoirs de la terre », où les préoccupations environnementales et sociales s’entrelacent, invitant le spectateur à réfléchir sur les implications de notre époque.
Seyni Awa Camara
Née à Bignona, Seyni Awa Camara vit et crée en Casamance, au Sénégal, où ses œuvres délicates s’enrichissent des légendes et croyances locales, plongeant le spectateur dans l’univers fascinant des mythes ancestraux sénégalais tout en célébrant les techniques artisanales de sa région. Potière d’exception, elle a su mener une véritable croisade pour l’élévation de cet art, la propulsant sur la scène mondiale après avoir surmonté le poids des interdits ancestraux.
Initiée dès son enfance aux secrets de la poterie par sa mère et sa grand-mère, Seyni Awa Camara façonne ses personnages avec soin, puis les cuit à basse température dans un four à ciel ouvert, installé dans la cour de sa maison. Son entrée sur la scène artistique internationale s’est faite avec éclat lors de l’exposition « Les magiciens de la terre » en 1989 au Centre Pompidou, qui a permis de révéler l’étendue de son talent à travers le monde.
Son œuvre a suscité un vif intérêt, faisant l’objet de plusieurs documentaires, publications et expositions, notamment « Ex Africa » de Philippe Dagen au musée du quai Branly en 2021. Parmi les marqueurs de son succès, ses créations sont également mises en avant à l’Ambassade des États-Unis à Dakar, dans le cadre du programme « L’Art en Ambassades » (AIE), et participeront à la biennale Dak’art de 2024, visible jusqu’en décembre prochain.
Chaque « enfant-poterie » qu’elle façonne raconte une histoire, évoque un souvenir et incarne la richesse de son patrimoine. Seyni Awa Camara n’est pas seulement une artiste ; elle est une gardienne de la mémoire, une voix de la terre qui transforme l’argile en poésie palpable et intemporelle.
Sheila Fuseini
Sheila Fuseini à travers ses toiles, offre un voyage visuel immersif au public, les invitant à découvrir le monde selon sa perspective. Originaire du Nord du Ghana, elle dépeint avec poétique les paysages de savanes, ses lignes d’horizon, ses ciels et les rives de l’immense lac Volta qui traverse son pays, évoquent une expansion libre, limitée seulement par les bords de la toile.
L’engagement poétique de l’artiste avec la couleur évoque une perception sensorielle inspirée par Kandinsky, oscillant entre abstraction et figuration, où chaque élément, de la maison à la feuille, possède une valeur égale. Par l’application du collage avec des chutes de cuir sur tulle ou panneau, elle confère à sa peinture une matérialité tactile, ouvrant la voie à de nouvelles interprétations. La juxtaposition des surfaces, égale en intensité, rappelle la technique du kente, symbole des valeurs sociales ghanéennes.
Ces œuvres, véritables cartographies émotionnelles, relient sa région natale du Nord, ainsi que le vaste ciel du Sud et les rives du lac Volta, formant un kaléidoscope visuel qui trace son parcours créatif, nourri par ses souvenirs, son identité et sa culture dans le contexte du Golfe de Guinée, où elle vit aujourd’hui. Des valeurs créatives en parfaite harmonie au fil conducteur de l’exposition « Pouvoirs de la terre ».
Soly Cisse
Dans le cadre de « Pouvoirs de la terre », la galerie présente un ensemble exceptionnel de dessins au fusain de l’artiste sénégalais Soly Cissé, datés de 2002 à 2005, issus de la série “Le Monde Perdu“, accompagné d’une toile grand format de sa récente série “Écosystèmes“. À travers ses œuvres, Soly Cissé explore une relation profonde avec la Nature, animée par les mêmes forces qui façonnent les destins humains.
En affirmant : « J’essaie d’atteindre l’homme au plus profond de lui-même », il établit une complicité avec le spectateur, sa présence dans la toile étant palpable. La figure d’une Ève forte, refusant la pomme au profit d’un serpent, illustre une métamorphose symbolique, traitée avec une texture craquelée. Cette œuvre offre une résonance contemporaine, mêlant intemporalité et préoccupations modernes. Enfin, une nouvelle monographie, “Écosystèmes“, écrite par Hélène Tissières et publiée avec le soutien du CNAP, accompagne cette exposition.