Après ses expositions individuelles : « Peaux noires, masques blancs » à Paris, « Sur les âmes du peuple noir » à Abidjan, l’artiste contemporain Béninois Roméo Mivekannin présente « Hosties noires » du 02 avril au 05 juin 2021 à la Galerie Cécile Fakhoury de Dakar.
Tel un terreau fertile pour des questionnements, l’exposition « Hosties noires » met en relief l’histoire des tirailleurs sénégalais reconstruite à partir des photos d’archives.
Dans un jeu de lumière créant un clair-obscur, « Hosties noires » propose une installation suspendue dévoilant les visages de tirailleurs sénégalais peints sur des journaux des années 1944-1945. Le passage d’une œuvre à l’autre dans l’espace d’exposition apparait à la fois comme un lieu de dialogue et de confrontation des imaginaires entre les observateurs contemporains.
S’inspirant du recueil de poèmes éponyme de Léopold Sédar Senghor de 1948, l’artiste veut décrire la vie des tirailleurs sénégalais mobilisés dans l’effort de guerre.
Ces soldats noirs de la force coloniale française en Afrique, utilisés au cours de la Première Guerre mondiale étaient recrutés dans plusieurs pays du continent africain. La présence de femmes et enfants aux cotés de certains d’entre eux n’est pas sans heurt chez les soldats français qui se contentaient d’envoyer des correspondances pour maintenir la liaison familiale.
Plongé dans l’imagerie coloniale et aux cartes postales qu’échangeaient les soldats français avec leur famille en métropole, l’artiste est frappé par la représentation des femmes de tirailleurs dans les tâches de la vie quotidienne.
Il ne s’en offusque pas, mais parvient plutôt à une analyse critique de ses images et s’interroge sur le motif du choix de ces clichés. S’agissait-il d’un fantasme exotisme ? D’une idéologie coloniale ou d’une fascination pour l’autre ? Quel que soit le cas de figure, ces images pour l’artiste sont pleines de sens et expriment le confus rapport entre la métropole et ses colonies.
Dans un acte de réappropriation de ces images de femmes noires, l’artiste contemporain Roméo Mivekannin leur ôte le regard péjoratif d’image-objet dont elles étaient les victimes dans l’objectif de l’appareil photo colonial, pour provoquer un débat d’idées.
Roméo Mivekannin : L’Afrique autrement !
De nationalité béninoise, l’artiste Roméo Mivekannin s’inspire du fond des archives photographiques, des toiles iconiques symboliques et de l’histoire de l’art occidentale pour exprimer son art.
Vecteurs d’admiration et d’érotisme, les représentations ambigües des figures noires issues de Vente d’esclave de Jean-Léon Gérôme (1873) à Olympia de Gustave Manet (1863) en passant par les premiers portraits photographiques des monarchies coloniales de la seconde moitié du 19ème siècle, permettent à Roméo de voir autrement l’art.
De la sculpture à la peinture, cet historien de l’art et ébéniste adopte une création artistique visant la remise en cause d’une iconographie héritée des systèmes de trafic humain et de domination qu’ont été l’esclavage et la colonisation.
A partir de ses peintures à l’acrylique noire sur des toiles teintées par des bains répétés d’élixir, l’artiste qui a vu le jour à Bouaké en Côte d’Ivoire crée un lien direct et continu entre l’histoire passée et contemporaine.
A la croisée d’une réécriture de mémoire collective et de réparation d’une fracture identitaire, l’artiste choisit de reprendre les faits de ces représentations historiques afin d’inverser les premiers discours qui leur sont associés pour construire en toute dérision sa propre vision des faits. La mémoire et le temps deviennent donc la matière première de ses œuvres qui témoigne de leur singularité.