Au fil du temps, les mots s’effacent lentement dans l’oubli, tandis que le corps conserve en son sein les empreintes du rythme et des vibrations envoûtantes des berceuses. C’est au cœur des espaces intermédiaires de la Galerie Ifa à Berlin que Joël Andrianomearisoa tisse un nouveau récit, en quête de paroles renouvelées. Entre murmures, berceuses et chuchotements, l’artiste plonge la galerie dans une atmosphère légère et doucement envoûtante jusqu’au 1er septembre. Dans le cadre de sa première exposition personnelle en Allemagne, intitulée « Measures Lullabies and Whispers », l’artiste malgache puise dans les souvenirs de son enfance, s’inspirant d’une berceuse que lui chantait sa grand-mère avant de s’endormir, Iny Hono Izy Ravorombazaha (l’oiseau blanc).
Sous la houlette des commissaires d’exposition Meriem Berrada et Alya Sebti, en collaboration avec la Haus der Kulturen der Welt, « Measures Lullabies and Whispers » convie le public à plonger dans le rythme des berceuses et la puissance de la mémoire. Ces mélodies apaisantes transmises de génération en génération rappellent un profond sentiment de connexion et d’appartenance. De l’intimité évoquée par les berceuses à leur pouvoir guérisseur, c’est à travers une exploration poétique que Joël Andrianomearisoa invite à voyager au cœur de cette installation in situ.
Pour sa nouvelle exposition, l’artiste contemporain surprend les visiteurs en proposant une configuration spatiale binaire qui confère une profondeur accrue aux installations. Les participants sont invités à emprunter le sentier inédit imaginé par Joël Andrianomearisoa au sein de la galerie. Ils y découvrent des lettres évoquant sa berceuse d’enfance, délicatement disposées le long d’un mur monumental qui perturbe l’espace. L’architecture et la poétique créative de l’artiste donnent vie à un parcours exclusif, rendant complexe et ambigu ce qui semblait évident au premier abord. Au-delà des mots, le public se laisse happer par les méandres d’une installation gigantesque en papier noir, signature emblématique de son art. Évoquant le Labyrinthe des Passions présenté à la Biennale de Venise en 2019, cette installation de Joël Andrianomearisoa se révèle à la fois dense et fragile, contaminant l’espace de son ambivalence mélodique.
Poursuivant son exploration lyrique, l’artiste s’adonne à une technique traditionnelle malgache de broderie sur tissu. Manifeste d’une Rupture, réalisé en collaboration avec des artisans d’Antananarivo, offre un rendu peu conventionnel où des éléments tels que le raphia, fibre végétale emblématique de Madagascar, sont intégrés. Dans une palette minimaliste, presque ton sur ton, la lecture des mots brodés devient presque impossible, transformant les gestes ancestraux en autant de formes de narration.
L’enchantement du rythme de la berceuse, bande sonore de l’exposition “Measures Lullabies and Whispers“, guide les visiteurs vers le fond de la salle, où une installation vidéo exclusive les attend. Ce film, projeté au fond de la salle et entièrement tourné à Antananarivo, ouvre de nouvelles perspectives expressives dans la pratique artistique de Joël Andrianomearisoa. Intitulée “Please Sing Me My Song Before You Go“, cette œuvre entrelace des processus d’écriture sur la matière, le texte et l’architecture, créant une imagerie qui brouille les frontières spatio-temporelles du récit.
L’exposition “Measures Lullabies and Whispers” offre un voyage émotionnel et sensoriel captivant, où la berceuse et les murmures de l’artiste se mêlent pour tisser un récit envoûtant. À travers ses installations artistiques, Joël Andrianomearisoa parvient à capturer l’essence même de ces mesures douces et intimes, invitant les visiteurs à plonger dans un univers poétique où le passé et le présent s’entrelacent harmonieusement. Une expérience immersive et troublante qui révèle la profondeur et la complexité de son langage créatif, entre réminiscences d’une enfance lointaine et expressions contemporaines audacieuses.