Alioune Diagne est un artiste peintre sénégalo-français, créateur du mouvement artistique du figuro-abstro. Nous nous sommes entretenus avec l’artiste afin de vous faire découvrir le peintre derrière ces formes et couleurs abstraites.
Bonjour Alioune Diagne. Dis-nous, quelle est ta définition d’un artiste ?
Alioune Diagne : J’aborde ma pratique artistique avec beaucoup de naturel et de spontanéité. Je ne sais pas si j’arriverai à donner une définition exacte, mais à mon sens, être un artiste, c’est être un porte-parole. J’attache beaucoup d’importance au message véhiculé par mes œuvres et à ce qu’elles provoquent chez celui qui les regarde. En tant qu’artiste je me sens investi d’une mission de transmission. Je veux éveiller les consciences à travers mes tableaux et attirer l’attention sur des problèmes du quotidien que l’on a tendance à oublier, comme l’importance de l’Éducation, l’Histoire, la réalité des comportements, l’innocence des enfants, la place des femmes…etc. Je tente de m’inscrire dans cet héritage qu’est l’Histoire de l’Art, d’y apporter ma sensibilité et d’en être digne.
Qu’est-ce que l’art pour toi ?
Alioune Diagne : C’est une question très vaste ! L’Art est une passion depuis que je suis jeune. C’est une pratique qui me permet de m’exprimer, de sortir mes émotions en les mettant et de les appliquer sur une toile. C’est vraiment un soulagement de pouvoir m’exprimer de cette façon au quotidien. L’Art me berce et m’apaise. Je peux alors me libérer des choses qui encombrent mon esprit et les traduire sur mes toiles. Si je ne pratique pas très régulièrement, je ne suis pas satisfait. L’Art me complète. Plus largement, il me semble essentiel dans notre quotidien à tous.
De l’imagination à la technique pourrais-tu transmettre les recettes d’une belle œuvre selon ta perception ?
Alioune Diagne : Il y a plusieurs critères techniques qui font, selon moi, une « belle œuvre », même si cela reste très personnel. Cinq éléments me semblent fondamentaux : la composition, la technique, les couleurs, la profondeur et les reliefs. Ce sont d’ailleurs des aspects sur lesquels je travaille beaucoup dans mes œuvres. J’aime percevoir ces éléments dans une œuvre. Ensemble, ils forment un orchestre musical qui vient rendre l’ensemble cohérent. Tout doit être équilibré, bien sûr, et au même niveau pour obtenir cette harmonie. Mais ces éléments formels ne sont rien s’il ne sont pas accompagnés d’une émotion, d’une idée. En « mélangeant » la rigueur technique et un message fort, on ne peut que trouver une œuvre belle.
Pourrais-tu, pour nos lecteurs, développer le processus derrière l’une de tes créations ?
Alioune Diagne : Mon mouvement le « figuro-abstro » est né en 2013. Il repose sur un principe simple : construire une image figurative à partir d’éléments abstraits. Je viens mettre en avant une situation, un sentiment, tout en conservant uniquement ce qui est essentiel : les formes et les couleurs. Ma démarche se décompose en plusieurs étapes.
Je choisir d’abord les couleurs « fluo » que je vais appliquer sur le fond de mon tableau. Je le fais de manière intuitive. Ensuite, je dessine les contours du sujet que j’ai choisi pour la toile en question.
Ça peut être une scène de rue, des enfants qui jouent, des femmes au travail sur les marchés au Sénégal, mais aussi l’Histoire, ou encore des sujets qui mettent en avant mes recherches artistiques plus techniques. Enfin, par-dessus, je réalise mes signes dits « inconscients ». Ils sont très minutieux et viennent redéfinir l’image, faire émerger de nouveaux détails. Ils sont l’essence même de mon travail. Tous porteurs d’une émotion unique, ils sont vraiment ce qui définit mon style « figuro-abstro ». Je les vois comme un langage universel, que chacun perçoit et lit comme il le ressent.
Quel est le moment le plus marquant dans la carrière d’Alioune Diagne ?
Alioune Diagne : Oh…il y en a plusieurs ! Dernièrement, je reçois de plus en plus de demandes de jeunes élèves de l’Ecole des Beaux-Arts de Dakar où j’ai fais mon apprentissage. Ils veulent en connaître plus sur ma technique et l’appliquer dans leurs exercices. C’est une reconnaissance et une fierté inestimable. J’ai en partie développé ma technique pour que chacun puisse se l’approprier et la faire grandir. Les retours de ces jeunes artistes en devenir me touchent tout particulièrement.
En 2017, j’ai eu une exposition à Aoste en Italie. À cette période, deux opposants politiques de longue date ont pu découvrir mon travail. Mon exposition a été un véritable coup de cœur pour eux. À tel point qu’ils sont venus ensemble visiter l’exposition et me remercier de les avoir réunis à cette occasion. Cela faisait des années qu’ils ne s’étaient pas entendus sur quelque chose (rire).
Enfin, j’aimerai évoquer ma dernière exposition solo à Paris (novembre 2019), qui a été organisée par We Art Partners qui me soutient depuis des années dans mes projets. J’ai pu rencontrer tellement de monde, entendre des retours positifs. Tous ces témoignages me vont droit au cœur. J’ai l’habitude d’échanger sur les réseaux avec mon entourage et ceux qui aiment mon travail, mais pouvoir les rencontrer en vrai a été vraiment marquant. Il y avait même la queue avant l’ouverture de l’exposition ! Je ne l’oublierai jamais.
Quelle serait la réponse la plus mémorable sur ton travail ?
Alioune Diagne : Une anecdote me revient directement en mémoire. C’était en 2015, lors de mon exposition à la galerie ARTE à Dakar. Un couple éthiopien qui était en visite au Sénégal a affirmé aux galeristes qu’il s’agissait de l’alphabet éthiopien sur mes toiles. Ils pouvaient clairement lire ce qui y était écrit.
Pour ma part, je ne donne aucune signification à mes signes, ils sont inconscients et universels. Chacun se les approprie et les interprète selon ses propres perceptions. Cette anecdote en est le parfait exemple ! Nous avons pu échanger et j’ai été marqué par leur étonnement et leur bienveillance devant mes œuvres. C’était la première fois que j’exposais officiellement mon mouvement du « figuro-abstro » au Sénégal. Depuis, je reçois beaucoup de témoignages qui m’ont marqué et qui m’aide à aller plus loin. Ces personnes de tous les âges et nationalités me donnent beaucoup d’amour et je les en remercie.
Nous découvrons une multiplicité de facettes dans ton travail. Mais qu’est-ce qui influence cette touche du mouvement pictural du « figuro-abstro » que tu définis comme le tien ?
Alioune Diagne : Adolescent, je passais beaucoup de temps avec mon grand-père. Il était maître coranique au Sénégal et avait donc à charge la reproduction calligraphiée du Coran. Je l’observais travailler et j’ai été marqué par l’application et la concentration qu’il mettait dans sa pratique. Certains disent qu’inconsciemment, j’ai repris les gestes de mon grand-père dans mes toiles. Il m’a sûrement influencé c’est vrai, mais je préfère penser que tout ceci me vient naturellement, inconsciemment. Je n’ai pensé à rien de particulier lorsque j’ai tracé mon premier signe.
Nous sommes tous forgés par notre histoire, notre expérience et ce que l’on nous transmet. Il n’est donc pas insensé de penser que j’ai intégré, sans le savoir, cet enseignement familiale. Je suis venu le mêler à tout ce qui m’entoure depuis que je suis petit pour créer ce style unique et qui m’est propre : le « figuro-abstro ». Rapidement, j’ai ressenti le besoin de le nommer, de le définir vraiment et même de le théoriser. Cela me permets de me l’approprier et le partager. C’est essentiel pour que je continue à créer.
Quel le sens des signes que tu utilises dans tes œuvres ?
Alioune Diagne : Les signes sont l’essence de mes tableaux. C’est grâce à eux que l’image devient nette en s’éloignant et qu’elle se décompose en une multitude d’éléments lorsque l’on s’approche. C’est eux qui définissent mon style. Je les vois comme une écriture remplie d’émotions. Chaque signe que je viens peindre rigoureusement sur la toile est porteur d’une émotion propre, celle de l’instant où je l’ai apposé sur la toile. C’est tout mon ressenti qui est dedans.
Ces signes ne représentent rien de concret. Certains y voit des formes, des personnages, des hiéroglyphes, du code informatique…etc. Ils me viennent à l’esprit au réveil ou dans la nuit et sont complètement inconscients. Mes signes sont vraiment un langage universel et j’espère que tout le monde pourra se l’approprier de manière singulière, c’est le plus beau cadeau que l’on puisse me faire.
Si tu devais donner des conseils à la jeune génération pour arriver à ton étape, quelles démarches suggérerais-tu ?
Alioune Diagne : Je leur dirai d’être rigoureux dans leur travail et apprentissage. De beaucoup travailler. Grâce à une formation, comme celle que j’ai pu connaître à l’École des Beaux-Arts de Dakar, vous aurez toutes les clés en main pour réussir. C’est aussi grâce aux rencontres avec les professeurs et entre camarades que l’on se forge une identité. Mais ce qu’il ne faut pas oublier, c’est également d’être libre dans sa pratique. De suivre ses émotions et envies. Et surtout, ne pas oublier d’avoir confiance en soi.
Les femmes sont très présentes dans ton travail, notamment dans tes collections « Scènes de marchés »… Pourquoi ?
Alioune Diagne : À travers mes œuvres, j’espère réussir à transmettre des vérités oubliées ou ignorées. J’aimerai pouvoir éveiller les consciences et surtout celles des jeunes sénégalais. Pour moi, les Femmes sont nos héroïnes du quotidien, qui portent à elles seules leur foyer. Je trouve que la société, notamment en Afrique, ne considère pas suffisamment les Femmes. Jour après jour, elles accumulent les tâches et les kilomètres afin de subvenir aux besoins de leur famille. On les retrouve sur les marchés, installées à même le sol, vendant leurs produits. Elles sont parfois accompagnées de jeunes enfants dont elles doivent s’occuper en même temps. Elles se sont levées très tôt afin de préparer le nécessaire pour la journée.
Ce qu’elles accomplissent est incroyable et rend l’inactivité des hommes encore plus flagrante. Je n’en ai pris conscience que très tardivement. C’est pour cette raison que je rends hommage à leur courage dans mes tableaux, pour éveiller les consciences et espérer changer certains comportements.
La collection « Signes en abstraction » est un mélange de peintures et de sculptures en plaques de métal. Parle-nous de cette collection qui laisse apparaître un esprit de construction.
Alioune Diagne : Cette collection a débuté avec des peintures qui datent de 2018 et font du signe, le sujet de l’œuvre. J’avais envie d’explorer l’origine de mon mouvement en le mettant encore plus en avant. Tout, dans ces premières œuvres de la collection, parle de l’origine : le signe est l’origine du langage écrit, les couleurs primaires sont l’origine de la couleur, le blanc et le noir sont l’origine de la lumière…etc. Pour aller encore plus loin, j’ai voulu m’essayer à la sculpture en métal et m’ouvrir à d’autres médiums. Ces sculptures représentent chacune un signe unique. Je viens chercher un signe dans un tableau, et je le « sors de la toile » pour le représenter en 3 dimensions, l’individualiser. Cette démarche leur donne de la valeur et permet de voir le signe sous tous les angles. On sort de la toile plane.
Ce qui est important c’est que les formes sculptées ne sont pas nouvelles. C’est un signe déjà existant, simplement « extrait » d’une de mes toiles. Je ne viens pas le modifier. Il porte encore le sens qu’il avait lorsque je l’ai apposé sur la toile. La sculpture est alors porteuse d’une émotion unique. C’est une pratique qui me parle et je suis ravi de pouvoir développer d’autres aspects de mon travail d’Artiste.
Alioune Diagne, merci pour cette interview et pour votre disponibilité.
Alioune Diagne : Merci à vous !