Le chaos du monde contemporain à travers les collages photographiques de Bruce Clarke

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Photocollage © Bruce Clarke
Photocollage © Bruce Clarke

Bruce Clarke bouscule nos certitudes et préjugés, éveille notre empathie et revitalise images et mots pour provoquer une prise de conscience face aux tragédies qui jalonnent l’histoire contemporaine. Cette remise en question, à travers le prisme de l’art, est à découvrir jusqu’au 18 novembre dans l’exposition « Créer au Bord du Volcan », présentée à l’espace artistique de la galerie Art-Z à Paris. C’est un moment exclusif où l’artiste s’emploie à renouveler en permanence la mémoire, à raviver les émotions et à stimuler la réflexion.

Artiste plasticien britannique d’origine sud-africaine, Bruce Clarke captive et touche le public grâce à un mélange émouvant de médiums, comprenant photographies, collages et peintures. La profondeur de ses œuvres ne réside pas uniquement dans cette combinaison artistique, mais plutôt dans les sujets poignants qu’il choisit de dépeindre. Abordant des thématiques tragiques et parfois graves, Bruce Clarke les représente avec une beauté saisissante, transformant ainsi la dangerosité émotionnelle de ses œuvres, pouvant être qualifiées de « beauté du diable ».

Le chaos du monde contemporain à travers les collages photographiques de Bruce Clarke
Pas un jour de travail de plus, Huile:collage sur toile, 2022

Ouvert, chaleureux et curieusement avide de découvertes, il fait preuve d’un sens de l’humour raffiné tout en étant connecté à un réseau informé de l’actualité africaine et mondiale. Fort de son expérience du pire, que ce soit directement ou à travers sa connaissance aigüe de l’histoire contemporaine, il n’hésite pas à partager ces acquis au travers de ses collages photographiques.

En effet, c’est au sein de cet écosystème d’injustice, de violence et de rapports de domination que Bruce Clarke sélectionne les éléments nécessaires à ses créations. Des photographies aux témoignages, il puise dans ces détails pour retranscrire avec la plus grande justesse possible la réalité méconnue, dans une quête existentielle invitant le public à y prendre part. L’exposition « Créer au Bord du Volcan » s’inscrit parfaitement dans cette démarche de “peindre la réalité sombre à travers son art“, où l’artiste contemporain allie avec expertise drame et beauté, révélant le chaos du monde sous un prisme esthétique qui capte les regards.

Les visages qui émergent de ses photographies fascinent par leurs récits. Brossés, rayés ou griffés, ces traits poignants semblent engager une conversation silencieuse, portée par les coups de pinceau, les vagues d’aquarelle, les couches d’acrylique, ainsi que par l’estompage des contours caractéristique de l’artiste. Adoptant un style à la fois contemporain et classique, Bruce Clarke s’inscrit dans une longue tradition iconographique, faisant preuve d’une grande maîtrise du dessin, de la fresque et de l’aquarelle, qu’il transforme en un manuscrit de la modernité.

Le corps, pivot central dans l’univers artistique de Bruce Clarke, trouve une nouvelle résonance au sein de l’exposition « Créer au Bord du Volcan ». Ici, le spectateur est invité à une expérience immersive où paysages et corps cohabitent dans une danse tragique et poignante. Loin d’un simple retour aux sources, les œuvres exposent des paysages ravagés, forêts dévastées, plaines désolées et champs de bataille embrasés qui deviennent des métaphores puissantes de notre époque tourmentée. Dans chaque toile, l’Histoire se dissimule, prête à s’éveiller sous le regard lucide de l’observateur. Cette lucidité l’incite à redéfinir notre manière de voir et d’interpréter le monde qui nous entoure.

Le chaos du monde contemporain à travers les collages photographiques de Bruce Clarke
Une identité chahutée
2008-2023,  Benin,Photo-collage, wide © Bruce Clarke

Adoptant une approche créative subtile, l’artiste explore des stratégies de représentation indirecte, défiant l’évidence de l’image photographique. Dans cet acte audacieux, il dévoile un contre-pouvoir qui illumine les zones d’ombre, articulant les événements d’une manière profondément nouvelle. En pleine « guerre des images », Bruce Clarke s’engage dans une quête personnelle, passant au crible ses propres archives photographiques pour offrir une seconde vie à ces images, tout en interrogeant le rôle du photojournalisme et la prétendue objectivité qui prétend capturer la réalité. C’est dans cette remise en question de l’objectivité que Bruce Clarke s’exprime :

« Avec le temps l’image se brouille, s’use, s’estompe tel un palimpseste. Un télescopage avec d’autres événements, majeurs ou non, confond la lecture et embrouille le lecteur.

La photo est copiée, recopiée, brusquée, déformée parce que racontée de mille manières approximatives. On lui impose un sens, un discours qu’elle ne peut pas, dans sa platitude de fait, contester. Elle devient trace de traces laissées.

Certaines photos dans cette exposition viennent du Rwanda d’août 1994 – quelques semaines à peine après le génocide des Tutsis. Mais elles ne sont pas une représentation du Rwanda en août 1994. Pourtant, elles y ont été prises, j’y ai été pour les prendre.

Maintenant elles font partie d’un passé recomposé.

Finalement, est-ce qu’une image photographique raconte la vérité, une vérité quelconque ? Elle n’est peut-être plus qu’une archive hors contexte, déconnectée de ce qui a été la hyper-réalité de 1994 : des rescapées qui ont (sur)vécu à l’horreur des horreurs.

La trace visuelle, la photo, est, en somme, banale et a besoin d’un complément d’information, une re-contextualisation pour avoir du sens.

J’ai essayé de récréer avec ces photo-collages l’ambiance onirique, dérangeante où les images de la réalité flottent dans les méandres de la mémoire d’autres réalités et de la déformation informationnelle. Tels mes tableaux, ces compositions ne sont pas des illustrations de quoi que ce soit mais des évocations subjectives qui incitent à réfléchir bien plus qu’à informer.

La remémoration prend ici la forme non pas seulement du rappel à la mémoire d’un événement, mais de la capacité à convoquer de nouvelles images. »

Le chaos du monde contemporain à travers les collages photographiques de Bruce Clarke
Année terrible, aquarelle/collage 2024 © Bruce Clarke

Bruce Clarke propose dans « Créer au Bord du Volcan », une fusion entre art et dénonciation. Les œuvres présentées ne se contentent pas de représenter le monde ; elles le convoquent, le bouleversent et nous poussent à réfléchir au-delà de ce qui est montré.

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