L’exposition « The Struggle of Memory » présentée au Palais Populaire jusqu’au 11 mars 2024 met en lumière l’importance de la mémoire dans la formation de l’identité personnelle et collective, ainsi que dans la lutte contre l’oubli face à l’esclavage et au colonialisme, et leurs effets persistants. Cette exposition offre une réflexion profonde sur ces thèmes cruciaux à travers les œuvres d’artistes contemporains de renom.
« La première étape pour liquider un peuple… est d’effacer sa mémoire. Détruisez ses livres, sa culture, son histoire. Demandez ensuite à quelqu’un d’écrire de nouveaux livres, de créer une nouvelle culture, d’inventer une nouvelle histoire. D’ici peu, cette nation commencera à oublier ce qu’elle est et ce qu’elle était. Le monde qui l’entoure oubliera encore plus vite. » Cet extrait du Livre du rire et de l’oubli (1979) de l’auteur Milan Kundera explique clairement l’importance de la mémoire dans la conservation de l’héritage culturelle et identitaire dans une communauté.
La lutte de l’homme contre le pouvoir est intrinsèquement liée à la lutte de la mémoire contre l’oubli. Les artistes contemporains participant à cette exposition cherchent à répondre à ce besoin de restaurer la mémoire en consacrant leur pratique artistique à la préservation des souvenirs, à la reconstruction, à la ré-imagination et à la restauration.
Organisée par Kerryn Greenberg, « The Struggle of Memory » présente tout d’abord les acquisitions de la Deutsche Bank réalisées au cours de la dernière décennie. Un grand nombre des œuvres de la collection ont été créées par des artistes africains ou d’ascendance africaine. Cette concentration artistique sur le continent noir au sein de leur collection découle en partie de l’influence du regretté conservateur nigérian Okwui Enwezor, ancien directeur révolutionnaire de la documenta 11 et membre du Conseil consultatif mondial sur l’art de la Deutsche Bank.
Outre ces œuvres issues de la collection Deutsche Bank, l’exposition se divise en deux parties, chacune abordant l’exploration de la mémoire de manière singulière et profonde. La première partie de « The Struggle of Memory » se concentre sur la manière dont les souvenirs sont incarnés, présentant des réalisations qui explorent de différentes manières de comment le corps ingère, traite, stock et se souvient des expériences. La deuxième partie analyse la manière dont les mémoires s’inscrivent, regroupant des compositions qui interrogent les traces de l’histoire dans l’environnement naturel, tout en proposant des stratégies alternatives, parfois subversives, pour regarder le passé.
L’installation d’Anawana Haloba, qui occupe la coupole principale du Palais Populaire, marque le point de départ de l’exposition collective. Intitulée « Close-Up« , cette installation se compose de morceaux de sel grossièrement taillés et suspendus en hauteur, et sera présentée dans les deux parties de « The Struggle of Memory« . Les amas de sel sont alimentés en eau et se dissolvent progressivement dans les bols disposés en contrebas, offrant ainsi un fond sonore poétique à l’espace d’exposition. Cette disposition inhabituelle apparaît comme une métaphore des fluides corporels humains, de la fragilité des langues autochtones et de l’importance historique du sel en tant que moyen d’échange.
La grande majorité des artistes de l’exposition se tiennent à l’orée de la barrière du connu et de l’inconnue. Par exemple, Kara Walker mêle les récits des esclaves et les romans historiques pour en faire des points de départ qui ne sont pas destinés à offrir un simple témoignage du passé. Parallèlement, Berni Searle captive le public avec son œuvre parfumée « Traces 1999« , qui dépeint le corps comme un véhicule de la mémoire tout en mettant en lumière sa fragilité. Transcendant régulièrement les barrières du tangible, les photographies intimes de Mohamed Camara, issues de son collectif d’œuvres « Certains matins 2006« , contribuent à créer dans l’espace artistique, une atmosphère fantomatique, confondant présence et absence.
Dans une démarche artistique presque similaire, Lebohang Kganye utilise les archives familiales pour tenter de combler les lacunes de la mémoire tout en explorant les notions de fantaisie et de création de l’identité. Les autoportraits de Samuel Fosso suggèrent une approche ludique et captivante de la représentation. Les œuvres de Toyin Ojih Odutola et Wangechi Mutu, avec leurs accumulations respectives de marques et de fragments, permettent l’émergence de nouveaux récits insolites, à la limite de l’imaginable. Pour clore ce voyage artistique innovant offert par ces artistes contemporains au travers de « The Struggle of Memory« , Mikhael Subotzky présente l’installation vidéo « Moses and Griffiths, 2012« , une œuvre multimédia qui explore les écarts et exploite les débordements entre récits personnels et histoires officielles.
Ces œuvres jumelées révèlent les possibilités de la narration visuelle et l’importance de reconstruire les liens avec le passé dans les lacunes laissées par l’Histoire. Dans « The Struggle of Memory« , l’art apparaît comme un moyen de renouer avec le passé et de redécouvrir les points d’ombre laissés dans les récits transmis depuis des générations.