L’exposition « Et je renais à la terre qui fut ma mère » de Souleymane Keïta entame ces derniers moments à la galerie Cécile Fakhoury de Dakar. Présentée jusqu’au 08 juin en collaboration avec la Collection Jom – Dakar, cette présentation artistique est une invitation au public à explorer l’univers créatif de l’artiste sénégalais. Entre un parcours artistique inédit et un art tout aussi singulier, les visiteurs dakarois redécouvre l’univers de création de Souleymane Keïta à travers un visuel esthétique immersif.
L’artiste sénégalais, malgré son décès, reste une figure importante de l’art contemporain sénégalais. Le titre de cette exposition rétrospective à d’ailleurs été substituer à un poème de Léopold Sédar Senghor, une œuvre que le feu artiste appréciait grandement. En faire le titre de cette exposition qui lui rend hommage devient alors une évidence. « Et je renais à la terre qui fut ma mère » transcende donc les limites d’une simple rétrospective artistique, apparaissant plutôt comme une invitation à se plonger dans l’univers particulier de Souleymane Keïta. Le public redécouvre avec couleurs et émotions ses larges panels de peinture, sa carrière atypique qui a débuté 10 ans après que le Sénégal ait été proclamé comme un État indépendant. Son parcours était également meublé par divers mouvements esthétiques en rapport aux actualités du temps. Un fait qui permet aujourd’hui d’admirer l’évolution exceptionnelle de la créativité de cet artiste africain pour répondre aux enjeux de son temps.
« Et je renais à la terre qui fut ma mère » représente un véritable voyage temporel au cœur du parcours artistique de l’artiste contemporain. La chronologie de la carrière de Souleymane Keïta fonctionne ici comme fil conducteur discret de l’exposition permettant au visiteur de s’immerger dans les divers moments de sa créativité. Comme point de départ, la rétrospective débute sur les œuvres figuratives et colorées de Souleymane Keïta mettant en avant son lien avec la première génération de l’École de Dakar suite à sa sortie de l’institut des Beaux-Arts à la fin des années 60. Cette série d’œuvres nostalgiques où il y représente des scènes du quotidien marque ses débuts ainsi que sa démarche artistique dans le temps en parfaite résonance avec le courant de la négritude de Léopold Sédar Senghor qui cherche à développer les tenants esthétiques d’un art africain. L’année 1975 est marquée par un changement dans l’approche créative de Souleymane Keïta, où il fait émerger des peintures toujours plus abstraites comme Composition I et Composition II. Ce remaniement serait dû à son premier voyage au Mali en 1974, après lequel il se réinstalle sur l’île de Gorée et décide de s’éloigner de cette figuration propre au « style de Dakar ».
Les nombreux voyages de l’artiste sénégalais ont également servi de tremplin d’idées à la création de plusieurs de ses œuvres immersives et profondes. Sa découverte du Mali, terre de ses origines paternelles et ensuite de New-York entre 1980 à 1985 où il côtoie la scène afro-américaine en compagnie de Bill Hutson, Melvin Edwards et Ed Clark entre autres, lui permettent de faire émerger l’incroyable série d’œuvres Voyage au Mali – New York, un ensemble de peintures au travers desquelles Souleymane Keïta dépeint sa nouvelle perspective des identités complexes africaines.
Son retour sur l’Île de Gorée au Sénégal de 1985 à 1995 est marqué par une période transitoire où l’artiste contemporain expérimente diverses techniques picturales influencées par le mouvement américain de l’expressionnisme abstrait et par la richesse de la nature environnante de son île d’habitation notamment Pleine Lune à Gorée, Full Moon, Études des Sardines.
En 1995, Souleymane Keïta quitte Gorée pour s’installer à Dakar, donnant ainsi naissance à une période artistique marquante. C’est à Dakar que l’artiste façonne certaines de ses séries emblématiques telles que les « Chemises du Chasseur » et les « Scarifications », enrichies progressivement de matières et de textiles évoquant symboliquement la culture mandingue qui l’anime. Les deux dernières décennies de sa vie sont dédiées à l’accomplissement de sa quête esthétique vers l’abstraction sensorielle, donnant naissance à des œuvres sombres et profondément puissantes, révélant ainsi la genèse de l’univers artistique de Souleymane Keïta.
Cette ligne chronologique qui conduit la découverte de l’exposition rétrospective « Et je renais à la terre qui fut ma mère » , facilite une compréhension profonde du travail de Souleymane Keïta. Toutefois, l’habileté créative de l’artiste et l’harmonie des œuvres dans leur ensemble, permettent de se soustraire à cette ligne d’analyse sans pour autant déconstruire l’essence et la portée de l’exposition. La découverte des travaux de l’artiste est donc libre, selon la toile qui captive au premier abord le regard du public dakarois. Tel un chef d’orchestre depuis l’au-delà ayant prédit le dérouler de cette présentation artistique, Souleymane Keïta a conçu ses œuvres de telle sorte qu’elles soient en parfaite connexion entre elles et les époques, représentant à elle seule, un guide envoûtant de cette exposition rétrospective.
Les Éditions Cécile Fakhoury profitent également de l’événement « Et je renais à la terre qui fut ma mère », pour le lancement en avant-première à Dakar de l’ouvrage monographique Souleymane Keïta (avril 2024).