La Galerie Cécile Fakhoury d’Abidjan présente une exposition inédite d’Assoukrou Aké, intitulée « Les graines de semences ne doivent pas être moulues ». Jusqu’au 13 avril 2024, l’artiste ivoirien offre un ensemble d’œuvres inspirées par la sculptrice allemande, Käthe Kollwitz. Tel un héritage artistique transcendant les époques, l’artiste ivoirien place son exposition sous la protection bienveillante de cette graveuse allemande, évoquant l’ancestral lien qui unit mentor et protégé.
Le titre de l’exposition, « Les graines de semences ne doivent pas être moulues », emprunté à Käthe Kollwitz, reflète son dévouement envers les opprimés, les oubliés, victimes de la guerre, de la faim et de la domination. À travers son art, elle a magnifié leur résilience, leur révolte empreinte de dignité et leur amour pur. En reprenant le titre de la dernière lithographie de Käthe Kollwitz, Assoukrou Aké ramène cette figure emblématique de l’art allemand sur le devant de la scène artistique.
Témoin des horreurs des deux guerres mondiales, la sculptrice et graveuse, ayant perdu son fils et petit-fils, a canalisé sa douleur dans un combat acharné contre la violence et l’injustice. Sa célèbre phrase, « Les graines ne doivent pas être moulues », symbolise son refus de bâtir un avenir sur le sacrifice de sa descendance.
L’exposition d’Assoukrou Aké s’inscrit ainsi dans la lignée des combats menés par la regrettée artiste, tout en y apportant sa touche personnelle et créative. À travers ses œuvres, il convie le public dans un univers de jeux d’ombres et de lumières, explorant les techniques de la gravure avec la même passion que Käthe Kollwitz. Comme elle, il sculpte inlassablement pour révéler la quintessence des corps et des objets.
En écho à une histoire marquée par la colonisation, l’œuvre de l’artiste contemporain africain évoque la lente érosion de l’Afrique au fil des siècles par l’Europe, en vue de mieux la dominer. Pour faire renaître ce continent, Mamadou Diouf suggère de le dépouiller de son passé, de le reconstruire sur des bases nouvelles, en surmontant les cicatrices du passé.
Les visages en spirale des personnages énigmatiques peuplant les créations d’Assoukrou Aké symbolisent cette idée. Leurs traits circulaires s’entremêlent tels des arbres de vie, portant en eux l’épaisseur du temps et des expériences vécues.
La colonisation, qu’on pourrait considérer comme une longue parenthèse ou une lente hybridation, a incontestablement laissé des cicatrices profondes. Il est désormais impératif de rassembler les fragments éparpillés, qui représentent les valeurs identitaires, culturelles, physiques et psychologiques du continent africain.
Au cœur de cette entreprise de reconstruction se trouve la quête de cette « conscience africaine mêlant le sacré et le profane », chère à Assoukrou Aké. Plutôt que d’occulter ou de réprimer le passé, cette approche de reconstruction se révèle être une démarche saine pour façonner le présent.
L’approche reconstructive de l’artiste ivoirien évoque des thèmes déjà explorés par d’autres artistes, à l’instar du poète Derek Walcott qui aborde la restauration de ce qui a été brisé, comme une métaphore d’un héritage perdu mais en voie de recouvrement. Cette démarche trouve des parallèles dans l’art japonais du kintsugi, où les céramiques brisées sont réparées avec de la laque dorée, créant ainsi une nouvelle esthétique où les cicatrices deviennent des marques de beauté et d’histoire, témoignant de la résilience des objets et des êtres.
Dans la tradition juive également, la fragmentation est considérée comme le point de départ d’une nouvelle vie, soulignant l’importance de reconstruire à partir des morceaux épars. Ces diverses approches témoignent de la pertinence du thème exploré par Assoukrou Aké dans son exposition « Les graines de semences ne doivent pas être moulues« , où des personnages aux visages énigmatiques et symboliques peuplent ses œuvres, rappelant la complexité de la mémoire et de l’identité.
Revenant à l’art de la gravure, ce procédé exclusif permet de capturer des étincelles dans les écorces de matière, dans les rayures de l’image, dans les substances brisées. À travers ces lignes, émergent des lettres qui, mises bout à bout, racontent l’histoire du monde. Walter Benjamin nous rappelle que l’artiste, tel un orfèvre, doit restituer ces étincelles comme « fragments d’un langage unique et plus grand, débris d’un seul et même vase« .
Avec une patience et une précision dignes d’un artisan, Assoukrou Aké répare les brisures en les mettant en lumière. Dans ce monde chaotique que nous habitons, il assume ainsi l’une des missions les plus essentielles : faire renaître les visages, témoins de notre humanité commune.