“A SPACE OF EMPATHY” : une plongée au cœur des moments clés du monde passé et actuel à travers l’art vidéo de John Akomfrah

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JOHN AKOMFRAH, A SPACE OF EMPATHY, VUE DE L’INSTALLATION VERTIGO SEA, 2015, © SCHIRN KUNSTHALLE FRANKFURT 2023. PHOTO : NORBERT MIGULETZ
JOHN AKOMFRAH, A SPACE OF EMPATHY, VUE DE L’INSTALLATION VERTIGO SEA, 2015, © SCHIRN KUNSTHALLE FRANKFURT 2023. PHOTO : NORBERT MIGULETZ

Dans une exposition complète, le Schirn Kunsthalle Frankfurt accueille pour la première fois une œuvre impressionnante de John Akomfrah. Présenter jusqu’au 28 janvier 2024, « A SPACE OF EMPATHY » dévoile la pratique de l’artiste encore peu connue en Allemagne à travers une sélection impressionnante d’installations vidéo réalisées ces dernières années. C’est une occasion unique pour le public allemand de découvrir la pertinence et la pluralité de l’art vidéo de l’artiste contemporain.

John Akomfrah : un visionnaire de l’art contemporain multimédia

"A SPACE OF EMPATHY" : une plongée au cœur des moments clés du monde passé et actuel à travers l’art vidéo de John Akomfrah
JOHN AKOMFRAH, A SPACE OF EMPATHY, VUE DE L’INSTALLATION VERTIGO SEA, 2015, © SCHIRN KUNSTHALLE FRANKFURT 2023. PHOTO : NORBERT MIGULETZ

Né en 1957, John AKOMFRAH vit et travaille à Londres et conçoit des œuvres multimédias circonspectes d’une intensité audiovisuelle enchanteresse. Prenant le rôle d’un conteur, il relate à travers des écrans grand format les changements radicaux ainsi que les crises passées et actuelles. Cofondateur du Black Audio Film Collective à Londres, il jumèle des séquences de films de sa propre conception avec des archives, dans l’optique de concevoir des collages multicouches, parfois associatifs, souvent sous la forme de structures narratives simultanées.

Il réalise de nombreuses expositions individuelles, entre autres au Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Washington DC, USA (2022) ; Remai Modern, Saskatoon, Canada (2022) ; Towner Eastbourne, Eastbourne, U.K. (2021) ; Fundació Antoni Tàpies, Barcelone, Espagne (2021) ; Centro Andaluz de Arte Contemporáneo, Séville, Espagne (2020) ; Seattle Art Museum, Seattle, Washington (2020) ; Secession, Vienne, Autriche (2020) ; BALTIC, Gateshead, U.K. (2019) ; ICA Boston, Boston, MA, USA (2019) ; Museu Coleção Berardo, Lisbonne, Portugal (2018) ; New Museum, New York (2018) ; Bildmuseet, Université d’Umeå, Suède (2018, 2015) ; SFMOMA, San Francisco, CA, États-Unis (2018) ; et Museo Nacional Thyssen-Bornemisza, Madrid, Espagne (2018).

John Akomfrah participe également à de nombreux festivals internationaux de cinéma et des expositions collectives notamment la 15e Biennale de Sharjah, Sharjah, Émirats arabes unis (2023) ; The Africa Institute, Sharjah, EAU et Accra, Ghana (2022) ; North Carolina Museum of Art, Raleigh, NC, USA (2022) ; Museum of Contemporary Art Busan, Busan, Corée du Sud (2021) ; Art Gallery of New South Wales, Sydney, Australie (2021) ; Art Museum KUBE, Ålesund, Norvège (2021) ; Taipei Fine Arts Museum, Taipei, Taïwan (2021) ; City Gallery, Wellington, Nouvelle-Zélande (2020) ; Ghana Pavilion, 58e Biennale de Venise (2019) ; New Museum, New York, États-Unis / The Store New Museum, New York, USA / The Store X, London, Royaume-Uni (2018) ; Prospect 4, New Orleans, Louisiana, États-Unis (2017) ; Museum of Modern Art, New York, États-Unis (2017) ; 56e Biennale de Venise, Italie (2015) ; et The Power Plant, Toronto, Canada (2015).

“A SPACE OF EMPATHY” : un voyage cinématographique entre passé et présent

"A SPACE OF EMPATHY" : une plongée au cœur des moments clés du monde passé et actuel à travers l’art vidéo de John Akomfrah
AKOM150001,John Akomfrah,Vertigo Sea, 2015,Three channel HD colour video installation, 7.1 sound,48 minutes 30 seconds

Dans son œuvre, John Akomfrah analyse de manière critique le passé colonial, la migration mondiale et la crise climatique. Pour plonger les spectateurs dans une ambiance coloniale émouvante, « A SPACE OF EMPATHY » commence par une nouvelle installation immersive multi-écrans, abordant un arc thématique des premiers contacts avec les colons sur les côtes orientales de l’Amérique du Nord, les conquistadors en Amérique centrale et du Sud ainsi que l’arrivée des Européens dans les Caraïbes, l’Asie du Sud-Est et la Chine. L’exposition sera donc composée de trois œuvres importantes que sont The Unfinished Conversation (2012), Vertigo Sea (2015) et sa nouvelle œuvre Becoming Wind (2023).

John Akomfrah dans sa pratique s’intéresse à la singularité des représentations historiques, en créant dans ses récits vidéo, une œuvre composée de plusieurs regards. Son installation se soustrait donc à la notion de linéarité, offrant une vérité unique illusoire. Dr Sebastian Baden, directeur de la Schirn Kunsthalle de Francfort, explique : “Ce qui rend l’œuvre de John Akomfrah si impressionnante, c’est la cohérence avec laquelle il traite les thèmes de la migration, la crise climatique ou le passé colonial. Ce sont les grands thèmes de notre époque contemporaine pour lesquels il veut créer une sensibilité en tant qu’artiste international. À travers le temps ses installations vidéo associent des séquences de films récemment tournées et des images d’archives pour créer des images d’une émotion bouleversante. Il n’y aurait pas eu de meilleur moment pour aborder les questions essentielles de John Akomfrah sur l’humanité. Des questions sur la coexistence entre l’homme et l’environnement en Allemagne et à la Schirn pour en discuter ici“.

Julia Grosse, la commissaire de l’exposition “A Space of Empathy“, appui les termes du directeur de la Schirn Kunsthalle en soutenant : “John Akomfrah veut montrer ce qui n’a pas été vu, ce qui n’est pas raconté, ce qui n’est pas entendu. Dans des images poétiques et fortes, ses installations décrivent l’urgence de ses thèmes, et ce sans moraliser. L’artiste parvient à intégrer et à établir des liens complexes de manière différenciée. Il ne s’intéresse pas seulement aux points de vue humains, il pense aux récits du monde vivant. Il y associe toujours le monde vivant, comme les plantes et les animaux. Par son travail, il propose des changements de perspective et s’interroge sur les conséquences des actions collectives et individuelles. Au fond, il souhaite créer un espace d’empathie avec les visiteurs“.

Le public sera d’abord mis en contact avec un espace de lecture spécialement montée pour l’occasion. Il sera composé de publications en lien avec l’œuvre vidéo de l’artiste ainsi que les interrogations issues de ses travaux de recherches. La bibliothèque mise sur pied a également été enrichie par les ouvrages d’investigations de John Akomfrah. La salle de lecture servira de lieu d’échanges et de réflexion sur les thèmes abordés dans ses installations et des séances de lecture créative du SCHIRN BOOKCLUB ainsi que des ateliers y seront également organisés.

The Unfinished Conversation

Réalisé en 2012, The Unfinished Conversation est une installation vidéo HD à trois canaux, son 7.1 de 54:48 minutes qui rend hommage au théoricien culturel britannique renommé Hall, à la fois sociologue et fondateur des Cultural Studies Stuart Hall (1932-2014). Ayant été en contact avec lui pendant un moment, John Akomfrah décrit dans son montage vidéo une exploration sensible, limite poétique, de l’héritage de Hall.

Il interroge également, en s’inspirant de la vie du théoricien, de ses théories et de ses conceptions les notions de l’identité, de l’immigration et du colonialisme. À travers un large panel d’éléments notamment des archives, des photographies, des évènements historiques entre autres, l’artiste arrive à faire émerger un espace de sons et d’expériences profondes qui porte un regard critique sur la société britannique.

"A SPACE OF EMPATHY" : une plongée au cœur des moments clés du monde passé et actuel à travers l’art vidéo de John Akomfrah
John Akomfrah, La conversation inachevée , 2012, Vidéo numérique, couleur et son à 3 canaux
 

The Unfinished Conversation se compose de séquences d’images clé de la vie du théoricien Hall et des évènements de l’époque britannique tels que le travail théorique de Hall et le meurtre non élucidé de l’Antiguais Kelso Cochrane. Des références littéraires y sont également ajoutées comme celle de William Blake, Charles Dickens et Virginia Woolf.

La musique jazz représente aussi une partie importante de l’installation vidéo tant au niveau du son comme de l’image, du fait des portions de films révélant des musiciens ou des disques en rotation. Cette installation de John Akomfrah aborde la théorie de Hall selon laquelle, l’être est un “processus en constante évolution“, un produit de l’histoire, des souvenirs et de l’identité ainsi que des interférences entre le public et le privé.

Selon le théoricien, l’identité et l’ethnicité ne sont pas des cases prédéfinies, mais plutôt des détails d’une “conversation toujours inachevée“. The Unfinished Conversation apparaît alors comme une extension expérimentale de l’approche esthétique documentaire, mais aussi comme une approche plénière et critique de l’histoire, une visibilité ainsi qu’une remise en question des récits unidimensionnels sur les réalités de vie des personnes noires en Grande-Bretagne.

Vertigo Sea

Vertigo Sea est une installation vidéo à couleur HD à trois canaux, réaliser en 2015, son 7.1, de 48:30 minutes. Plus une méditation cinématographique poétique qu’une œuvre artistique multimédia, l’installation navigue d’un siècle à l’autre, en explorant la relation entre l’homme et la mer.

Offrant un visuel immersif des fonds marins sur trois grands écrans, John Akomfrah combine des séquences d’images qu’il a lui-même filmées aux îles Féroé, à Skye et en Norvège avec des images d’archives provenant des documentaires naturels époustouflants de la BBC, qu’il entrelace habilement à des récits de fragments des livres Moby Dick (1851), de Herman Melville et Whale Nation (1988) de Heathcote Williams.

"A SPACE OF EMPATHY" : une plongée au cœur des moments clés du monde passé et actuel à travers l’art vidéo de John Akomfrah
John Akomfrah, Vertigo Sea (Détail), 2015, Installation vidéo couleur HD à trois canaux, son 7.1, 48 minutes 30 secondes. Avec l’aimable autorisation de SCHIRN KUNSTHALLE

Cette œuvre vidéo de John Akomfrah aborde la mer dans son ensemble ainsi que les problèmes qui lui sont alpagués notamment les structures d’exploitation et les questions écologiques actuelles. Beauté et horreur se superposent au sein des séquences d’images denses dévoilant l’industrie de la chasse à la baleine et la déportation de millions d’Africains pendant la traite transatlantique. De nombreux extraits de l’installation vidéo font trait aux atrocités subit par les esclaves pendant la traite.

Des biographies emblématiques et des séquences de films ont même été ajoutées par l’artiste afin de révéler la profondeur historique de cette période funeste pour la race noire.  À travers cette superposition pertinente des cadres, des histoires et des périodes, John Akomfrah met en évidence les aspects négligés de l’histoire. Vertigo Sea, offre alors un visuel stylistique aux références inopinées allant au-delà d’un récit exsangue.  L’œuvre vidéo a d’ores et déjà été présentée à la 56e Biennale de Venise (2015) dans le cadre de l’exposition “All The Futures” d’Okwui Enwezor et représente une des œuvres centrales de John Akomfrah.

Becoming Wind

À travers cette vidéo HD à cinq canaux, de couleur noir et blanc, son surround 7.1 avec un temps de 31:45 minutes, l’artiste contemporain réalise une représentation symbolique du jardin d’Eden et de sa disparition. Sa nouvelle œuvre plonge le public dans un passé luxuriant où cohabitent en harmonie espèces animales comme végétales. Les scènes diverses tantôt d’enfant aux abords des plages, tantôt de la diversité et de la richesse de l’environnement interrogent subtilement sur l’état actuel de l’écosystème bouleversé.

"A SPACE OF EMPATHY" : une plongée au cœur des moments clés du monde passé et actuel à travers l’art vidéo de John Akomfrah
John Akomfrah, Becoming Wind (Detail). Installation view at Sharjah Biennial 15. Photo: C&.

Des bouts de phrases dans le cadre de la crise climatique telle que “Nous devons être rapides” ou “ça bouge entre nous”, interpellent et suscitent une prise de conscience collective. Un autre axe est également abordé dans l’installation vidéo de John Akomfrah à travers ses personnages transgenres évoluant dans leur routine quotidienne. Ces séquences multimédias révèlent l’importance de se reconnaître véritablement et de pouvoir évoluer librement.

D’un autre côté, elles témoignent de la transmutation fulgurante des espaces écologiques et l’adaptation future à celles-ci. L’artiste contemporain souligne la rapidité des changements actuels en affirmant : “Il faudrait presque que nous devenions quelque chose de semblable au vent pour y arriver“. BECOMING WIND a été présentée en avant-première cette année à la 15e Biennale de Sharjah.

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