Suite à notre premier article sur les pionniers de la photographie africaine, nous pourrions dire que la photographie à une vitesse similaire à celle de l’innovation, se développe et s’ajuste. Cela est dû à quelques éléments : la liberté d’expression qui s’est développée, le dynamisme financier de nombreuses villes africaines, les nouvelles avancées technologiques et le web qui associe les capitales créatives du continent.
La photographie africaine intègre aujourd’hui la défense des couches vulnérables, l’aide aux personnes en difficulté et l’assurance des libertés fondamentales. Une photographie engagée qui, au-delà des belles images, transmet des pensées associées à une volonté.
Comme les essayistes, les photographes s’efforcent de montrer leur engagement et ont besoin de raconter leurs propres histoires. A cet effet, Puleng Mongale s’intéresse aux relations sociales dans son pays, Osborne Macharia aux nains du Kenya à travers des images minutieusement conçues sur-mesure pour les rendre forts, heureux et autonomes. Au Ghana, Ofoe Amegavie s’appuie sur les célébrations ancestrales et territoriales pour promouvoir la diversité sociale des groupes socioculturels du pays. Le Sud-Africain Justin Dingwall quant à lui, met en avant les cheveux des personnes atteintes d’albinisme pour changer la vision négative et faire ressortir sans prétention leur esthétique.
La liberté et l’indépendance sexuelle sont également défendues par des photographes. À cet égard, Pieter Hugo est allé à la rescousse des Gully Queens, une communauté gay évincée de Kingston, Jan Hoek et Duran Lantink ont utilisé l’humour pour communiquer sur les Sistaaz Girls, des transsexuelles du Cap démunies. Le cas des cinq (5) homosexuels ouvertement repoussés par la police nigériane a indigné Robin Hammond.
En effet, lorsque les Africains ont assumé l’avenir de la photographie africaine, les orientations et les motivations ont changé et ont pris en compte les progrès technologiques et le web, qui ont contribué à l’innovation et à la diffusion des œuvres photographiques et à un incroyable élan d’énergie inventive. De même, les facteurs socioculturels du continent sont pris en compte et mis en valeur.
Retour sur les tendances marquantes de l’histoire de la photographie africaine
J. D. ‘Okhai Ojeikere : l’homme des coiffures
Né en 1930, c’est entre 1968 et 1999 que le Nigérian J.D. ‘Okhai Ojeikere a orienté l’objectif de son appareil photo vers les différents types de coiffures existant au Nigeria. Le jeune preneur d’images de l’époque compare le travail d’une coiffeuse à celui d’un artiste, car chaque type de coiffure dans un pays à la culture complexe et codée transmet un message et déifie une réalité.
De même, J. D. ‘Okhai Ojeikere s’est attaché à protéger les structures, les différents types d’environnement métropolitain, les vieilles structures de Lagos et les éléments du patrimoine en danger. C’est pourquoi, loin de son studio, il prend des photos pour constituer une archive photographique du pays.
Venu à la photographie dans les années 1950, à l’âge de 20 ans, ce photographe compagnon des étudiants qu’il a photographiés est devenu le plus apprécié de son temps. Avant sa disparition en 2014, il a dévoilé aux Rencontres de Bamako, ses photos de l’ordre des avancées sociales, sociétales et politiques de son pays. Ses très nombreux clichés engagés sur les coiffures des dames nigérianes sont actuellement une référence dans la reproduction de l’évolution de la mode au Nigeria.
Paul Kodjo : Le photographe des artistes
Surnommé « le miracle Abidjanais », Paul Kodjo est un photographe autodidacte et un artiste autoproclamé. Initié à la photographie par des Nigérians installés à Abidjan, Paul Kodjo va se perfectionner en France. Il installera plus tard son studio à Paris, où il photographiera les chanteurs de son temps comme Barry White ou Manu Dibango.
Grâce à sa carte de presse, ce photojournaliste de l’époque des indépendances avait libre accès à l’administration et aux manifestations officielles du président Félix Houphouët-Boigny.
Né en 1939 à Abidjan, Paul Kodjo a participé à l’immortalisation des événements de la Côte d’Ivoire nouvellement indépendante. Il est l’un des rares photographes africains à avoir couvert Mai 68.
Le journaliste de Fraternité Matin se considère également comme un artiste et a donc présenté ses œuvres photographiques à Paris dans les années 1960.
A son retour dans les années 1970, il a fait publier une partie de ses œuvres photographiques dans « Ivoire Dimanche » avant de se retirer dans sa ferme de Sowodadzem, au Ghana.
Solomon Alonge : Le photographe de la tradition
Solomon Osagie Alonge était le principal photographe de la cour du royaume de Benin City, au Nigeria. Il prenait des photos des cérémonies traditionnelles et des invités de la cour royale.
C’est ainsi qu’il a photographié la reine Elizabeth en 1956. Ce photographe autodidacte utilisait son appareil photo comme un outil pour recueillir et enregistrer les occasions qui dénotaient la vie quotidienne de la résidence royale.
Il a ouvert son studio « Optimal Studio » en 1942, pour permettre au sujet de base du royaume de s’offrir le plaisir d’être photographié. Pour satisfaire les goûts de ses clients, Solomon Osagie Alonge disposait d’une armoire de vêtements coutumiers et élégants. De même, il parcourait à vélo, les différentes zones urbaines pour photographier les habitants à l’occasion de rassemblements.
Né en 1911, d’une famille noble, ce preneur d’images de la cour royale, décrit par son sens de l’écoute et de la perception, a connu la scène temporaire animée par l’indépendance.
Avant sa mort en 1994, il a présenté son travail au National Museum of African Art de Washington DC et a obtenu le titre de « Chief », comme son grand-père.
Vers de nouvelles perspectives : les tendances émergentes de la photographie
La photographie africaine étant utilisée depuis longtemps pour retracer le passé glorieux ou obscur d’un pays, d’un état ou d’un royaume, certains artistes contemporains se sont emparés de cet art pour montrer que la créativité artistique n’a pas de limites.
C’est dans ce registre que l’artiste photographe sénégalais, Omar Victor Diop, utilise la photographie comme un dispositif de projection du futur avec sa série « Eventual fate of Beauty », Samuel Fosso use de provocation pour se mettre dans la peau d’un pape Noir à la Biennale de Bamako et le Belgo-Béninois Fabrice Monteiro aborde les problèmes écologiques avec la série « The Prophecy ».
Diverses initiatives locales et régionales se multiplient en faveur de la photographie africaine et visent non seulement à unir les photographes autour de la mise en valeur des cultures endogènes, sur les faits historiques, mais aussi à faire promouvoir les créateurs africains. C’est dans cette optique que, outre la Biennale de Bamako, différents festivals ont vu le jour, par exemple le « Lagos Photo » pour permettre aux photographes africains de faire connaître leur travail sur le continent. Cette nouvelle approche de la promotion de la photographie favorise l’émergence d’une âme fondamentale parmi les individus, qui remet en question les banalités négatives entretenues depuis un certain temps sur le continent.
Des résidences artistiques sont également mises en place pour les photographes et les vidéastes d’origine africaine afin de travailler sur des créations artistiques, mais surtout pour stimuler une association d’experts photographes africains venant de différents horizons. Une centaine de galeries de photos ont déjà été ouvertes jusqu’à présent, de Nairobi à Abidjan, offrant d’autres perspectives sur le continent.
Enfin, le développement de plusieurs plateformes africaines pour la photo, les Smartphones et Instagram entraînent une transformation significative de la pratique artistique africaine. Ils induisent la course au nombre de vues et d’abonnés sur les réseaux sociaux, le souci de décrocher un contrat de publicité et de marketing auprès des entreprises. À l’heure actuelle, il n’est pas nécessaire d’avoir un appareil photo de pointe ou un studio entièrement équipé pour devenir l’un des artistes photographes les plus connus. Ainsi, une nouvelle génération de photographes a opté pour le téléphone portable et compte sur les canaux digitaux. Parmi eux, Malick Kebe qui met en scène les subtilités du visage, le teint de la peau et l’eau, le sable ou le ciel, l’artiste visuel Aldi Diasse qui a été exposé à Dakar dans le cadre du off de la Biennale ou encore l’artiste ghanéen Prince Gyasi, suivi par 84 500 abonnés sur Instagram qui a été présenté à la foire AKAA à Paris, au Seattle Art Fair ou encore au Miami Art Week de 2018. Rappelons que ce dernier a dû choisir le téléphone portable par manque de moyens d’obtenir un appareil photo professionnel, et y a finalement pris goût pour exprimer sa créativité.