La restitution des objets d’art africains volés et déportés vers l’Europe pendant la période coloniale est l’un des sujets majeurs qui font l’actualité culturelle depuis quelques années. Le rapport Saar-Savoy demandé par le Président Emmanuel Macron et publié en 2018 sur le sujet avait jeté les bases d’un retour au bercail des artefacts sur leur terre d’origine. Mais depuis lors, c’est un peu le statut quo. Pire, en pleine crise liée au Coronavirus, un marché de ces objets d’art serait en train de se développer, mettant en péril les espoirs d’un aboutissement normal du rapatriement.
Des ventes d’objets d’art africains à Paris et New York
Alors que les regards sont orientés vers la recherche de solutions pour une reprise du secteur culturel qui a été fortement éprouvé par la crise liée au Coronavirus, l’on a récemment appris que la maison de vente aux enchères Christie’s a programmé une vente d’« Arts d’Afrique, d’Océanie et d’Amérique du Nord ». Cela aurait pu passer pour un événement anodin, si cette vente n’incluait pas de nombreux artefacts africains concernés par la grande campagne de restitution très attendue depuis plusieurs années.
Au programme de cet événement qui se déroulera à Paris, figurent en effet de nombreuses pièces d’art uniques originaires du Ghana, du Gabon, du Nigéria, de la République démocratique du Congo, etc. La valeur estimative desdits objets est comprise entre 30 000 € et 900 000 €. Quelques jours plus tôt, Sotheby’s, une maison de vente aux enchères basée aux États-Unis, avait, pour sa part, annoncé la mise en vente de The Clyman Fang Head, l’une des plus importantes œuvres de l’art africain classique.
Estimée entre 2,5 et 4 millions de dollars, ce masque Fang sera proposé aux enchères à New York, le 29 juin prochain, aux côtés de 32 autres pièces issues de l’art africain.
Une vive polémique
Motivées par l’intérêt croissant pour l’art africain sur le marché mondial ces dernières années, ces ventes aux enchères ont suscité de vives réactions dans le milieu. Le fait est que la Maison Christie’s ne peut valablement pas garantir que les pièces mises en vente ne font pas partie des objets d’art africains volés qui doivent faire l’objet d’une restitution aux Etats africains dont ils sont originaires.
Quid du processus de restitution ?
Le rapport Saar-Savoy publié en 2018 avait recommandé la restitution des œuvres d’art africaines qui sont conservées dans les musées français. On en recense plus de 50 000 dans la collection du Quai Branly. Le même rapport en dénombre plusieurs centaines de milliers dans les musées de Belgique, du Royaume-Uni, d’Autriche et d’Allemagne.
Mais dans la pratique, ces recommandations sont loin d’être suivies, et cela malgré les promesses à répétition. On a encore en mémoire le discours du président Emmanuel Macron à l’occasion de l’un de ses voyages au Burkina Faso. En cause, de nombreux blocages d’ordre juridique.
Primo, la concrétisation de cette démarche de restitution nécessite l’adoption d’une loi de déclassification et la prise de décrets d’application. Malheureusement, le projet se heurte jusque-là à la résistance des actuels conservateurs. Ensuite, du côté des Etats africains, les conditions ne sont visiblement pas totalement réunies pour un retour sûr de ces œuvres d’art de grande valeur. Au Nigéria par exemple, les musées du pays sont dans un état de délabrement très avancé et bénéficient de très peu de financements. Certes, quelques musées comme celui des civilisations noires de Dakar ont récemment été construits sur le continent. Mais ces infrastructures ne sont, de toute évidence, pas suffisantes pour garantir une restitution sûre et une bonne conservation des œuvres.
Par ailleurs, il faut savoir que plusieurs de ces objets étaient utilisés pour des rituels, dans les endroits où ils ont été pris. Ils pourraient donc être diabolisés à leur retour. Aussi, il existe une forte probabilité que leurs valeur marchande chute après leur restitution. En effet, si beaucoup d’entre eux sont évalués aussi cher, c’est également en raison de leur emplacement actuel. De nombreuses questions doivent donc encore être réglées par les différentes parties avant un quelconque retour de ces œuvres.