Pour son exposition « La Ventriloque rouge » au macLYON, l’artiste sud-africaine Mary Sibande porte la sculpture et l’installation à une autre échelle dans son travail du 11 février au 10 juillet 2022.
En utilisant divers caractères et codes d’ombrage, elle produit depuis très longtemps une spécialité de modèle de sculpture qui démontre la véracité des existences des dames de sa famille et, à travers elles, aux environnements quotidiens des femmes noires sud-africaines et leur place dans l’histoire ahurissante d’une nation basée sur l’isolement racial.
La méchanceté, établie dans l’existence de populations faibles, pousse Mary Sibande à réfléchir à la mise en scène de l’outrage, sujet d’une énorme installation sculpturale et sonore qui se déploie sur tout un étage du macLYON.
Avec « La Ventriloque rouge », sa première exposition monographique en France, Mary Sibande alimente ces symboles et témoigne de la figure de « Sophie », qu’elle présente comme son changement intérieur pour mettre à jour les séparations autoritaires, racistes et misogynes. Mary Sibande présente les contrastes interconnectés, le récit de sa réalité se situe, tout comme celui de ses ainées, à l’intersection de cette multitude de types de déséquilibres qui les font basculer socialement et financièrement, malgré les garanties qui ont suivi la fin de la ségrégation raciale en 1994.
Mary Sibande explique par son travail que les conditions qui existaient à l’époque ont pu donner des libertés sociales, mais que les choix politiques qui ont suivi ont empêché une véritable amélioration sociale et monétaire de la nation. Elle fait remarquer dans ses créations que cette particularité n’a pas été réglée sur le long terme et que l’insatisfaction et le sentiment de honte qui en ont résulté ont engendré des formes de violence.
L’artiste contemporaine Mary Sibande nous fait également comprendre que si, d’un point de vue politique, la fin de l’apartheid est une réalité et un triomphe, il a été largement remarqué qu’elle reste incomplète d’un point de vue financier. De nombreuses disparités sous-jacentes subsistent dans un pays où, en 2015, le salaire annuel normal des familles noires était de 6 444 euros, alors qu’il était de 30 800 euros pour les familles blanches. Ce fossé reflète de nombreux déséquilibres, par exemple en matière d’accès au travail et de couverture médicale.
Les réformes ont permis l’essor d’une classe ouvrière et d’une élite noire, mais la plupart des Sud-Africains, en particulier ceux qui vivent dans les agglomérations, vivent et ressentent une véritable capitulation. Ces disparités, qui sont affirmées dans plus d’une revue, ont été exacerbées par l’urgence du bien-être. Cette période a vu une accélération des pressions comme les rébellions et le pillage, qui reflètent, les expositions politiques passées et la faiblesse des fondations, la misère du peuple qui ne peut plus se nourrir. La sauvagerie, bien ancrée dans l’existence de ces populations faibles, pousse Mary Sibande à s’interroger sur la manière de gérer cette indignation.
Particulièrement mise à part par ces événements, Mary Sibande a considéré son exposition à macLYON comme un véritable auditorium de la violence, apparu dans une formidable installation sculpturale et sonore où elle voit l’articulation et l’observateur des tensions créées et entretenues par une circonstance incohérente. C’est par la couleur qu’elle donne une manifestation à ces questions.
Dans son travail, Mary Sibande étudie la force suggestive, représentative et politique de la couleur, en échangeant et en superposant divers tons comme le bleu ou le violet.
Dernièrement, le rouge a pris une place prépondérante dans ses sculptures et ses photos. Recouvrant d’abord les corps de canines et de vautours, cela a commencé à apparaître dans les plis des vêtements de ses figures pour enfin englober tout le corps des individus qui sont actuellement des prêtresses évidentes.
Ces nuances de rouge dans l’exposition sont devenues l’image d’une indignation. Cette égalité entre le sentiment et la couleur a son point de départ dans les expressions existant dans quelques-uns des 11 dialectes et langues parlés en Afrique du Sud. En zoulou, la langue locale de l’artiste, il existe une expression qui relie la sensation d’indignation à un chien rouge. Mary Sibande a été propulsée par cette subtilité spécifique donnée au langage pour fabriquer une installation où la prêtresse rouge montre à une multitude de chiens d’une nuance similaire à contrôler et à transformer leur colère.
Suivant la personnalité de Sophie, qui accompagne l’artiste depuis longtemps, « La Ventriloque rouge », pour ne pas dire celui qui prête une parole à ceux qui n’en ont pas, s’adresse à un autre symbole qui réévalue le rôle d’artiste à l’échelle culturelle et la responsabilité que nous allons prendre. La figure met en outre en évidence la manière dont les dialectes, qui peuvent aussi bien unir les individus que les séparer, peuvent résonner.
« La Ventriloque rouge » s’inscrit dans l’histoire actuelle de l’Afrique du Sud et devient une autre section de l’œuvre de Mary Sibande sur le thème du détournement du déplaisir représenté par l’utilisation de figures canines découpées rouges et figuratives. C’est à ce moment-là qu’elle va commencer à travailler à cette échelle, en tant que véritable sculptrice d’histoire(s).
Mary Sibande
Née en 1982 à Barberton, en Afrique du Sud, Mary Sibande est diplômée en 2007 de l’Université de Johannesburg, où elle réside et travaille.
En 2011, son travail a représenté l’Afrique du Sud à la Biennale de Venise et en 2013, elle a été présentée au macLYON pour la douzième Biennale d’art contemporain. Cette même année, elle a été lauréate du Standard Bank Young Artist Award, qui lui a permis de bénéficier d’une exposition itinérante dans toute l’Afrique du Sud. Ses œuvres font partie de la collection du Spencer Museum of Art de l’Université du Kansas et de nombreuses collections publiques dans le monde.
Mary Sibande a exposé dans des musées universellement éminents, comme le Kiasma Museum d’Helsinki, en Finlande, le Nelson Mandela Metropolitan Art Museum de Port Elizabeth, en Afrique du Sud, le Museum Beelden aan Zee de La Haye, aux Pays-Bas, le Whitworth Museum de Manchester, au Royaume-Uni, le British Museum de Londres et la Somerset House de Londres en 2020…
Née à un moment essentiel de l’histoire de l’Afrique du Sud, pendant la transition jusqu’à la fin de la ségrégation raciale. Elle a vécu son enfance dans une humble communauté située à cinq heures de route à l’est de Johannesburg. Enfant, elle avait déjà une tonne de livres de collection et de dessins et, pendant ses années de collège, elle avait tout simplement besoin de devenir créatrice de mode et ne pouvait pas s’arrêter ! Quoi qu’il en soit, à l’université, elle a préféré l’art au détriment du stylisme.
Dans son travail, Mary Sibande a étudié le développement de la personnalité dans la culture sud-africaine avec le personnage de Sophie, son « alter ego », le modèle de femme de ménage noire durant l’apartheid, propulsée par son propre ensemble d’expériences, car quelques femmes étaient des employées de maison.
Du bleu au rouge, elle a fait évoluer ses œuvres dans des motifs aux tons représentatifs, laissant continuellement transparaître la personnalité de Sophie et son uniforme de travail.
Le nom de Sophie passe ainsi inévitablement en revue de la loi pendant l’apartheid, selon laquelle les jeunes devaient porter un nom chrétien/occidental pour aller en classe.Mary Sibande coordonne la vie inexistante de Sophie dans une série de sculptures façonnés directement sur son propre corps. Ses yeux sont régulièrement fermés, ce qui permet à Sophie de s’échapper d’une vie sombre grâce aux rêves.
Mary Sibande représente l’état des femmes de couleur et leur donne pouvoir, force et respect. Entre proximité et histoire politique, Sophie peut exemplifier tout individu qui se sent associé à elle. Aujourd’hui, elle adopte un cycle colorimétrique évolutif dans son travail. Dans ses premières œuvres, le personnage de Sophie porte d’énormes robes dont le ton rappelle celui des tenues des uniformes d’employées de maison, l’une des rares positions exceptionnelles que les femmes noires sud-africaines pouvaient occuper.
En même temps, l’étalage excessif de tulle et de mousseline dans ces tenues évoque les crinolines victoriennes portées par les femmes blanches privilégiées dans l’Afrique du Sud britannique du XIXe siècle. En réunissant deux univers restrictifs dans ces tenues, Mary Sibande crée le corps et l’article vestimentaire un espace à partir duquel elle peut réorganiser l’histoire de l’Afrique du Sud selon son propre point de vue.
En passant au violet, la personnalité de Sophie se transforme en une figure hybride, vivifiée par l’âme progressiste des dernières longues périodes de ségrégation raciale.
Dans des œuvres telles que « A Terrible Beauty is Born », présentée à la Biennale de Lyon en 2013, le violet représente la grandeur, la satisfaction et le pouvoir d’un autre monde. Il fait également allusion à une marche pour l’égalité des chances organisée au Cap en 1989. Une sorte d’écho à la manifestation ou la police a arrosé les dissidents de couleur violette afin qu’ils puissent être reconnus et capturés efficacement.
À cette occasion, le violet est devenu pour elle un moyen d’assumer la responsabilité de ce qui a été refusée aux personnes de couleur. Une sorte de couleur de l’honneur, ici son alter égo n’est plus « Sophie », son corps est déconstruit et donne naissance à des animaux. Sous la présence de structures naturelles, ces animaux sortent du ventre de la dame, convoquant à la fois la maternité et la personnalité de la femme qui porte la vie.
C’est en étant inspiré par sa grossesse que Mary Sibande rend cette nouvelle personne, ces animaux et cet univers à la fois ternes, colorés et ornés avant de passer au rouge en 2019 pour symboliser une figure forte. Avec des mouvements en outre renforcés par les structures naturelles qui sortent de son corps, « Sophie » est encerclée par une ribambelle de canines rouges.
Depuis, le rouge a progressivement attaqué ses nouvelles sculptures et photos pour habiller les nouveaux symboles de Sophie devenue prêtresse.
Mary Sibande acquiert du langage strict et chamanique un jargon qui donne à cette nouvelle emphase une puissance pratiquement extraordinaire. Le rouge est pour elle une image solide de la fureur, du dédain et de l’insatisfaction qui marquent réellement l’environnement sud-africain d’aujourd’hui.
Selon elle, alors que la majorité des Noirs ont acquis l’égalité sociale, les choix politiques qui ont suivi ont empêché une véritable amélioration sociale et monétaire du pays ; la minorité blanche garde la mainmise sur l’économie, laissant la grande majorité de la population noire dans une situation délicate.