L’exposition présentée à la Galerie Vallois du 2 novembre au 2 décembre 2023 réunit deux photographes, Eric Bottero et Gopal Amah, autour d’un travail photographique ancré dans les traditions culturelles et spirituelles du Bénin.
Leurs séries respectives témoignent d’une approche de la photographie que l’on peut qualifier de « conceptualisante » dans la mesure où elle dépasse la simple représentation du réel pour interroger les concepts sous-jacents aux pratiques photographiées.
Dans sa série réalisée dans la forêt sacrée de Ouidah, Eric Bottero offre une relecture des rituels vaudous à travers des images épurées, presque abstraites, qui condensent toute la symbolique du lieu. L’utilisation du noir et blanc ainsi que l’impression de certaines images sur feuille d’or confèrent à ces photographies une dimension spirituelle et méditative. La démarche du photographe se veut ici conceptualisante dans la mesure où il ne cherche pas simplement à documenter les rites vaudous mais à en restituer l’essence profonde. Son regard se concentre sur des détails, des textures, des jeux de lumière qui révèlent l’importance du sacré dans ce lieu.
De son côté, Gopal Amah s’est immergé durant deux ans dans l’univers des Égungún, ces esprits ancestraux célébrés au Bénin lors de diverses cérémonies. Ses photographies explorent en couleur les mystères et les paradoxes de ces entités à travers les costumes rituels chatoyants qui les incarnent. Son approche résolument esthétique révèle la complexité des Égungún à la fois symboles de vie et de mort. En capturant les transformations progressives de ces costumes éphémères, le photographe interroge le cycle de la vie et l’héritage culturel transmis de génération en génération. Ici aussi, au-delà de la dimension documentaire, la démarche se veut conceptualisante, invitant le spectateur à une réflexion universelle sur des thèmes comme la mémoire, la perte ou la résilience.
Ces deux séries photographiques témoignent d’une volonté commune d’appréhender la photographie non pas seulement comme un médium de représentation objective mais comme un outil d’exploration conceptuelle. Il s’agit de dépasser la surface des choses pour en révéler l’essence véritable. On retrouve dans cette approche certains principes de la photographie conceptualiste telle qu’elle s’est développée dans les années 60 et 70, mais appliqués ici à un terrain culturel et ethnographique singulier.
Là où les conceptualistes américains comme John Baldessari ou Douglas Huebler cherchaient à déconstruire le médium photographique lui-même, Eric Bottero et Gopal Amah l’utilisent pour mettre en lumière des éléments fondamentaux de l’imaginaire béninois. Leur démarche s’inscrit dans une approche plus contemporaine de la photo conceptualiste, soucieuse de réactiver le pouvoir symbolique et méditatif de l’image.
À leur manière, ils s’approprient des procédés conceptualistes pour ouvrir de nouvelles perspectives sur l’imaginaire sacré du vaudou.
Leur exposition commune révèle combien la photographie, quand elle se départit de son rôle narratif, peut se faire « résonateur d’inconscient ». En condensant des strates de symboles et de significations, elle se donne comme un art de la suggestion plus que de la description. Surtout, elle peut constituer un médium privilégié pour revisiter sous un angle conceptuel des traditions parfois mal comprises.
C’est toute la puissance de la photographie conceptualiste que de réactiver notre regard sur des réalités familières. À travers le prisme décalé de l’objectif, elle réinscrit ces objets sacrés – masques, autels, costumes – dans une contemporanéité visuelle. Elle les dote d’un surplus de sens qui interroge autant le passé que le présent. Elle ouvre un dialogue fertile entre arts premiers et postmodernité.
En définitive, l’exposition d’Eric Bottero et Gopal Amah témoigne avec brio des potentialités de la photographie quand elle se fait conceptualisante et réflexive. Leurs images nous plongent au cœur de rituels mystérieux tout en posant un regard aiguisé sur le sens même de ces traditions. Leurs séries respectives, dans leur diversité, révèlent la richesse d’un imaginaire sacré que l’approche conceptualiste sublime à chaque instant.