L’Afrique émet le moins de CO2 tout en étant celle qui subira les effets néfastes du réchauffement climatique. Les artistes africains contemporains sont particulièrement dévoués au sort de leur continent, cette génération créative a un engagement plus qu’important à prendre sur le continent.
C’est dans cette optique que le lanceur Ariane 5, un nouveau satellite météorologique qui prévoit de constater les changements environnementaux sur le continent, a décollé pour son dernier voyage dans l’espace avec un chef-d’œuvre signée par trois artistes africains : Michel Ekeba, Jean David Nkot et Géraldine Tobé sur sa coiffe.
Ce projet, porté par Matthias et Gervanne Leridon, s’est inscrit dans le cadre d’une longue coopération afro-européenne soutenue par le fonds de dotation African Artists for Development, l’organisation européenne de satellites Eumetsat, Arianespace et surtout grâce à Alain Ratier et Stéphane Israël.
Marquer le dernier voyage du lanceur Ariane 5, qui placera dans l’espace le premier satellite météorologique consacré à l’Afrique, avec une œuvre collective africaine est un étendard pour confirmer la conviction d’un avenir typique pour l’Afrique et l’Europe.
L’Afrique est un continent singulier. En supposant que l’Afrique soit aujourd’hui le plus petit producteur de CO2 de la planète, c’est aussi la terre qui subit le plus gravement les changements environnementaux mondiaux, et elle n’est qu’au début des difficultés que ces changements importants vont lui faire affronter.
Par conséquent, les informations météorologiques sont fondamentales pour son avenir. Elles se révèlent essentielles pour prévoir des facteurs aussi différents que l’agriculture, les flux humains et la sécurité de la biosphère, avec des attentes qui influencent l’ensemble.
Comme l’Afrique du Sud et le Maroc participent actuellement à l’expérience spatiale, African Space Art Project (ASAP) a été imaginée pour ancrer l’expérience qui anticipe l’Afrique dans l’espace avec de sérieux points forts pour l’Afrique.
Envoyer un chef-d’œuvre à un grand nombre de kilomètres de la Terre : l’idée peut sembler fascinante. Cependant, elle est à l’image de l’évolution de l’Afrique, qui semble à chaque étape déjouer les chiffres que nous souhaitons y reléguer.
De même qu’elle a constamment déjoué les prévisions, l’Afrique n’entrera probablement pas dans l’expérience spatiale comme bien d’autres, dont les premiers pas dans l’espace ont été marqués par des épreuves idéologiques, mécaniques et parfois militaires. Le projet African Space Art Project (ASAP) est une image du pas de côté que l’Afrique nous oblige à faire dans nos modèles biaisés.
Un chef-d’œuvre pour trois artistes contemporain africain
Suite à un appel à candidatures de plus d’une cinquantaine de dossiers reçus par le comité artistique composé de Jean-Philippe AKA, Gaël Faye, Keziah Jones et Melissa Goba, trois artistes gagnants ont été choisis : Michel Ekeba de la République Démocratique du Congo, Jean David Nkot du Cameroun et Géraldine Tobé de la République Démocratique du Congo, qui ont présenté leur projet à Paris.
Michel Ekeba, de la République démocratique du Congo
Né à Kinshasa où il réside et travaille, Michel Ekeba a aussitôt conçu un univers imaginaire baptisé « Kongo Astronauts ». Artisan mutable, il mêle peinture, sculpture, photographie et musique et nous fait pénétrer dans l’univers spatial africain.
Il accroît en outre des performances dans ses tenues Kongo Astronauts, conséquence d’un recyclage créatif et industriel. Ses œuvres interrogent l’idée d’exil et nous font rêver à des mondes différents.
Jean-David Nkot, du Cameroun
Né à Douala où il réside et travaille, Jean-David Nkot est aujourd’hui un peintre important sur la scène mondiale. Son travail remet en question l’idée de frontières. Ses œuvres placent la personne au cœur des problématiques migratoires.
Peintre de la condition humaine, Jean-David Nkot investigue les territoires. Ses remuements bousculent et s’adressent aux petites voix immobiles.
Géraldine Tobé, de la République démocratique du Congo
Originaire de Kinshasa, Géraldine Tobé est une artiste profondément dévouée. Elle ne conçoit pas sa méthodologie créative sans intercession sociale et soutient une responsabilité de résident mondial. Avant-gardiste, Géraldine Tobé utilise le feu comme pinceau : sa gamme est faite de fumée. Ses œuvres évoquent les changements imposés par le progrès et leurs dommages irréversibles sur la nature.
Une œuvre inédite pour la planète qui part de Ouidah
African Space Art Project (ASAP) a nécessité un processus de curation proportionnel au désir du projet. Au lieu d’attribuer un vainqueur solitaire, le jury a recommandé trois artistes qui ont conçu « Memory of today, Memory of the future », une œuvre à la fois remarquable et globale, miroir du dynamisme de la création africaine contemporaine.
L’œuvre « Memory of today, Memory of the future », aborde, sur la base d’une vue satellite, une silhouette de femme debout, comme pour affronter les difficultés de la condition féminine, de l’Afrique et de la société au cours du XXIe siècle. Chacun des éléments qui la composent présente une dimension symbolique forte.
Sur la figure féminine, on peut voir des têtes d’oiseaux qui rappellent les pratiques vaudous de la région de Ouidah où l’œuvre a été conçue. La base de l’œuvre est un treillis qui évoque les six lieux climatiques du continent africain, mais elle peut également faire ressortir la manière fluide dont se déplacent les voyageurs « Kongo astronautes » de Michel Ekeba. Quelques signes blancs apparaissent sur ce treillis et évoquent la cosmogonie de la nation Dogon, qui a toujours déchiffré l’avenir en scrutant le ciel et les étoiles.
L’œuvre « Memory of today, Memory of the future », a été réalisée par Michel Ekeba, Jean David Nkot et Géraldine Tobé lors d’une résidence dans la ville de Ouidah au Bénin, grâce à l’aide du gouvernement béninois et de son ministre de la Culture et des arts, Jean-Michel Abimbola.
Choisir cette ville, qui était l’un des points de départ des esclaves dans l’échange coloniale, comme étape initiale du désir spatial du continent africain, est à nouveau une décision symbolique qui dénote le désir d’une autre égalité et d’une connexion co-imaginative entre les terres africaines et européennes.
Le dialogue des artistes au sein de cette résidence a été rejoint par celui de l’Ivoirien Jean-Philippe Aka, du Nigérian Azubuike Nwagbogu et du Français Jean-Michel Champault. Leur démarche curatoriale a considéré un véritable travail commun entre divers univers sociaux d’Afrique et d’Europe, dont l’expérience est au cœur de cette entreprise.
Le dévoilement de cette œuvre s’est fait au Pavillon Élysée dans le cadre des 10 ans de la principale foire de l’art africain contemporain 1-54 et a été précédé d’une table ronde, dirigée par Touria El Glaoui, organisatrice de la foire, sur le thème « L’espace, une nouvelle frontière pour la création africaine ? ».
Depuis un bon moment, l’œuvre originale a été présentée dans quelques pays comme la France, la Tanzanie, la Belgique, le Bénin, l’Allemagne, le Maroc et elle poursuivra avec son « African Space Art Project Tour », en Afrique du Sud et dans la République démocratique du Congo. Enfin, elle sera officiellement proposée à l’Agence spatiale africaine par l’Union Africaine comme une déclaration à l’histoire spatiale du continent.