Cet article sur les femmes artistes photographes contemporaines d’Afrique s’inscrit dans la série sur la photographie qui présente l’historique de la photographie, celle des artistes contemporains qui changent les mentalités et l’article sur ces artistes qui ont adopté un processus de création inventif.
Loin de l’héritage colonial et de ses représentations lourdes de généralisations, ces femmes artistes photographes marquent une rupture indéniable avec une photographie trop souvent réduite au seul regard du héros. Celles qui sont présentées ici sont remarquables en ce qu’elles s’élèvent au-dessus de l’œuvre et qu’elles exsudent, définitivement, d’un imaginaire particulièrement unique, d’autant qu’elles se consacrent entièrement à la pratique.
Les photos d’Afrique sont les récits des régions et sont indispensables à l’essor des légendes contemporaines. En tout cas, plus que cela, elles questionnent les enjeux gouvernementaux en impliquant la photographie en elle-même. Ces femmes artistes photographes contemporaines nous informent qu’elles sont des porteuses créatives de mémoire et de message.
Au-delà des frontières entre les nations francophones et anglophones, ce tour d’horizon visuel nous laisse sur une interrogation : pourrait-on un jour parler de photographie politique africaine ?
Berni Searle
Depuis les années 1990, Berni Searle développe un ensemble d’œuvres profondément engagées, qui se défendent dans des médiums comme la photographie, la vidéo et la performance. Son propre corps, qu’elle organise fréquemment, est l’encapsulation d’un corps global blessé à travers différentes identités.
En tant que femme, métisse, africaine, Berni Searle veut nous aider à nous souvenir des différentes blessures, visibles ou indétectables, qui pénètrent la ségrégation raciale post-politiquement sanctionnée de l’Afrique du Sud.
Appartenant à la catégorie des femmes artistes photographes, Berni Searle dans ses œuvres, s’adresse parfois à elle-même, tourne son regard comme pour faire ressortir ici la singulière prédétermination ou l’échange océanique de son ancien quartier à l’époque coloniale.
Parfois, la brutalité s’insinue d’autant plus solidement dans ses œuvres, qu’elle représente en recouvrant les feuilles du corps de henné avant de les compacter jusqu’à ce que le tissu apparaisse comme blessé. De même, sa joue pourrait devenir le mode d’une dénonciation qui fait allusion à diverses histoires de mauvais traitements, à travers des images généralement énormes : croix catholique, moulin à vent, couronne anglaise…, dont la gravure vient s’enfoncer dans sa peau.
Dans son œuvre, Berni Searle tente de se défaire des clichés liés à la représentation des personnes de couleur : les personnages sont plus fluides.
À long terme, l’eau et le feu sont devenus des éléments répétitifs dans ses créations, utilisés comme analogies pour l’effacement : les figures en papier crépon qu’elle brise dans l’eau jusqu’à ce qu’elles deviennent pâles, ou les enregistrements de la série de trois « Black Smoke Rising » dans lesquels elle fait allusion à l’acte horrible du lynchage avec des pneus, utilisé en Afrique du Sud dans les dernières longues périodes de l’apartheid.
Maud Sulter
Artiste visuelle, photographe et essayiste anglaise, Maud Sulter est une artiste et une militante de la cause des femmes et d’origine ghanéenne.
À 17 ans, Maud Sulter passe à Glasgow pour étudier au College of Fashion de Londres et obtient ensuite un diplôme d’études supérieures visuelles à l’University de Derby. Elle commence sa profession d’écrivain et distribue son recueil le plus mémorable en 1985, « As a Blackwoman », qui remporte le prix Vera Bell Prize. Cette même année, elle participe en tant qu’artisan visuel à « The Thin Black Line », sa principale exposition d’envergure.
Une autre étape importante de sa carrière est la publication marquante d’un livre qu’elle a lancé avec l’artiste photographe Ingrid Pollard dans les années 1980.
Vers 1999-2000, Maud Sulter a ouvert une galerie, « Rich Women of Zurich », dans le quartier de Clerkenwell à Londres, pour présenter son travail et celui d’artistes de sa région. Depuis le milieu des années 1980, ses créations testent les codes de l’art occidental, pour réprimander la ségrégation et l’invisibilisation des Africains.
Maud Sulter s’efforce de mettre les personnes de couleur au centre d’une histoire de l’art qui les interdit. Dans ses œuvres, elle utilise différents médiums.
En 1987, « Sphinx », son exposition indépendante la plus mémorable, mettait en lumière une série de photos très contrastées prises sur une île au large de la Gambie, où étaient arrêtés les esclaves déportés vers les Amériques.
En 1989, « Zabat », une série de représentations Cibachrome, la mettait en évidence avec près de huit autres artistes, chacun incarnant un rêve de la vieille Grèce. Sa pratique visuelle est exceptionnellement efficace et lui vaut quelques distinctions, dont le prix « British Telecom New Contemporaries » et la bourse Momart de la Tate.
Maud Sulter a été pendant un certain temps la responsable du programme de maîtrise en arts au Manchester Metropolitan College et a effectué des recherches sur l’histoire culturelle de la diaspora africaine en Europe, ce qui l’a amenée à livrer quelques séries animées par l’existence de la vie de femmes noires.
Sa série « Hysteria » met en scène Edmonia Lewis, sculptrice d’origine afro-américaine et amérindienne, qui a fait sa carrière à Rome. Quelques-unes des œuvres de Maud Sulter sont centrées sur Jeanne Duval, l’amie de l’écrivain Charles Baudelaire. Son œuvre la plus populaire, « Syrcas », traite, par le biais de photomontages, de l’échange d’esclaves outre-mer et de l’oppression des minorités d’origine africaine dans l’Europe extrême des années 1930 et 1940.
Son projet, « Sekhmet » en 2005, revient sur son ensemble d’expériences où elle reprend les chroniques visuelles de ses deux familles, écossaises et ghanéennes, qu’elle accompagne de sonnets convoquant les facteurs réels de la diaspora.
Emportée par un cancer à 47 ans, l’œuvre de Maud Sulter est encore aujourd’hui extrêmement significative et a fait l’objet d’une rétrospective en 2015 à travers l’exposition « Maud Sulter : Passion, au Street Level Photoworks » à Glasgow, sa ville natale.
Lalla Essaydi
La spécialité de Lalla Essaydi, peintre, photographe et artiste visuel marocain, est d’étudier le point de rencontre entre la condition féminine et les questions de proximité, d’histoire, de culture et de politique. Évidemment partisane de la catégorie des femmes artistes photographes, son œuvre, profondément influencé par sa vie transnationale, s’intéresse aux restrictions de l’espace physique, social et mental des femmes du groupe musulman.
Lalla Essaydi a été conçue non loin de Marrakech dans une famille musulmane et a déménagé en Arabie Saoudite. Sa carrière imaginative a commencé lorsqu’elle s’est concentrée sur la peinture à l’âge adulte à l’École des Beaux-arts de Paris au milieu des années 1990. Elle était à la fois fascinée et bouleversée par les créations artistiques orientalistes du XIXe siècle qu’elle trouvait dans les musées.
Lalla Essaydi s’installe alors aux États-Unis et s’inscrit à l’université de Tufts à Medford avant d’obtenir un diplôme d’expert en arts plastiques à l’école des arts de Boston en 2003. C’est à partir de ce moment que la photographie est devenue un véhicule d’articulation central dans sa pratique.
Lalla Essaydi retrouve le Maroc de sa jeunesse, tant sur le plan géographique que sur le plan de la réflexion, dans ses œuvres de grande envergure, fastidieusement créées, qui démantèlent les généralisations de l’orientalisme : le manteau, l’odalisque et le groupe de concubines. À travers son travail, elle estime que le spectateur doit comprendre que l’orientalisme est une coutume voyeuriste et qu’il est plutôt à la recherche de l’excellence du mode de vie abordé.
En 2010, le musée du Louvre a acquis sa photo « La Grande Odalisque » réalisée en 2008 et l’a exposée en dialogue avec la version de Jean Auguste Dominique Ingres.
Lalla Essaydi est essentiellement connue pour ses séries de photos dans lesquelles elle relate l’écriture, le corps féminin caché et les entrailles douillettes. Elle prend pour modèles des femmes marocaines, généralement des membres de sa famille ou des compagnes, et utilise le henné pour graver des éléments de calligraphie arabe sur leur corps, leurs vêtements ou leur thème stylistique, mêlant ainsi deux dialectes visuels habituellement sexués en un texte vivant pratiquement obscurci.
La manière dont elle parcourt l’espace, qu’il soit structurel ou figuratif, privé ou public, est une composante essentielle de la manière dont elle étudie l’orientation.
Lalla Essaydi dépasse les limites de l’intime pour traiter des sujets, arrangeant dans les éblouissantes collections des maîtresses de la résidence royale Dar al-Basha du pacha Thami el-Glaoui. Dans l’une de ses séries, « Bullets », elle utilise des boîtiers de projectiles pour façonner des mosaïques brillantes autour de ses modèles, et se presse dans une structure plus étendue et une sauvagerie plus expressive.
Dans chacune de ses photos, elle montre des femmes qui défient la foule par leur certitude et leur maîtrise de l’espace.
« Revisions », la rétrospective significative de l’œuvre de Lalla Essaydi, s’est tenu au National Museum of African Art de la Smithsonian de Washington, D.C., en 2012-2013, et a mis en lumière un ensemble de médiums. Elle a été également mise en valeur lors de l’exposition indépendantes au San Diego Museum of Art et au Newport Art Museum.
Fatma Charfi
Artiste plasticienne et performeuse tunisienne, élève de l’École des arts plastiques de Tunis, Fatma Charfi est la principale femme acceptée dans sa classe d’audiovisuel.
Elle poursuit ses études à Sorbonne et obtient un doctorat en sciences de l’art.
Dans la dernière partie des années 1980, Fatma Charfi s’est installée à Berne. L’exil devient un sujet central dans son œuvre. En 1990, elle réalise une petite personne de 7,6 centimètres de long, faite de papier de soie qu’elle trempe dans de l’encre noire, puis qu’elle sèche, découpe et roule, en suivant la procédure habituelle de fabrication du pain, utilisée par les femmes tunisiennes.
Fatma Charfi duplique cette personne et la disperse dans l’ensemble de ses créations comme pour passer en revue les défis de l’exil et l’accumulation des sentiments. En 2004, à Dakar, elle a organisé son exposition « Projet laboratoire de Paix : l’Offrande ».
Un pinacle de 2,3 mètres, Installation verticale, fait de boîtes en plexiglas qui contient d’innombrables personnages qui semblent s’étouffer. Au sol, différentes figures sont dispersées sur une frise rectangulaire fixée avec du coton rétentif et entoilée par endroits avec un filet, ainsi les personnages semblent tantôt sauvegardés, tantôt détenus.
Chaque figure est, par sa réitération, déshumanisée. Cependant, à la redondance s’ajoutent des contrastes sans prétention : non seulement dans l’état d’esprit des poupées et dans leur plan de jeu, mais pour chacune d’entre elles par la manière dont elle a été gonflée, tordue ou plissée.
L’impact global, qui élimine l’unicité des figures, envisage par ailleurs un grand nombre d’implications à voir.
Zanele Muholi
Une de ses femmes artistes photographes, Zanelu Muholi est originaire de l’Afrique du sud et extrémiste qui a vécu son enfance dans une municipalité en bordure de Durban, Zanele Muholi a déménagé à Johannesburg.
Suite à un cours de deux ans dans le studio du photographe David Goldblatt, elle définit les normes de sa méthodologie, qu’elle a caractérisée en relation directe avec le groupe de personnes LGBTI d’Afrique du Sud, qui, bien qu’autorisé, continue à subir la méchanceté, la ségrégation et la disparité.
En 2006, elle a lancé un projet consistant à nommer des personnes et les différentes périodes de leur développement personnel. Significative de sa méthodologie, cette série en constante évolution comprend environ 300 photos de femmes, rencontrées dans tout le pays, avec lesquelles elle établit une relation en vue d’une compréhension partagée.
Pris à différents moments de leur vie, ces modèles sont indéniablement photographiés selon une norme similaire, en buste, vue de face ou de trois quarts, esquissés à distance équivalente, à l’intérieur ou à l’extérieur, clairement, sans stratagème, style ou ensemble.
Zanele Muholi donne une visibilité aux femmes lesbiennes noires sud-africaines, révèle leur présence et leur offre la possibilité de s’affirmer.
Au-delà du récit, ces images, d’une authenticité évidente, s’imposent dans un face-à-face d’une puissance peu commune.
Portant un regard fou, arborant des coupes de cheveux, des ensembles et des embellissements aussi différents que fluctuants, Zanele Muholi se montre volontiers dans des décors modérés, pour jouer diablement avec les généralisations liées à la féminité africaine.
Exécutées avec clarté, ces photos accordent une attention particulière à la pigmentation du corps sombre.
Considérée aujourd’hui comme une figure importante de la photographie contemporaine, tant sur le plan de l’activisme que sur celui de l’art, où elle incarne la première seconde politique de l’art après la fin de la ségrégation, Zanele Muholi est aujourd’hui à la tête d’une nouvelle génération de femmes contemporaine auxquelles elle a incontestablement préparé la voie.