Artiste au style expressif unique, Joël Andrianomearisoa séduit autant qu’il interroge. Très actif ces dernières années, celui qui est aujourd’hui l’une des valeurs sûres de l’art contemporain africain se dévoile et s’expose dans les plus grandes places culturelles du globe. Après la Biennale de Venise 2019 où il a fait sensation, l’artiste plasticien malgache a pris ses quartiers au Domaine de Chaumont-sur-Loire, depuis le début de cette année, avec Ce soir la nuit ne veut pas s’arrêter, une exposition toute en poésie et en émotions.
Temporalité et intemporalité…
Construite autour du jour et de la nuit, l’exposition de Joël Andrianomearisoa au Domaine de Chaumont-sur-Loire mêle subtilement poésie et philosophie. A travers un parcours artistique décliné en plusieurs environnements, l’artiste matérialise une méditation profonde autour d’éléments naturels en jouant habilement des matières, des formes et des couleurs.
Le premier chapitre, qui est le cœur de l’exposition, tant par ses dimensions que par son histoire, est une géante œuvre noire en papier, intitulée J’ai oublié la nuit. Produite et exposée pour la première fois à l’occasion de la Biennale de Venise 2019, où l’artiste représentait Madagascar, elle se présente comme « un assemblage de neuf cieux organiques, qui tombent en cascade noire de sacs, de cordes et de cendres ». Représentation métaphorique du livre noir de la nuit, dans lequel on oublie tout pour finalement se souvenir des plus belles choses, cette œuvre évoque la mélancolie et la nostalgie, sans pour autant s’y arrêter. Un prolongement au jour, inconnu après la nuit, laisse place à l’espoir de la lumière, de la victoire…
Ainsi, après la première salle de la nuit mystérieuse, qui peut sembler angoissante, vient le jour. Il naît dans la Cour Agnes Varda, à travers l’œuvre intitulée Les mots de la terre. Les plantes de cet espace naturel sont associées ici, à des dalles de béton posées au sol par l’artiste. Ce dernier a souhaité ne pas modifier la verdure des lieux, mais a préféré toucher aux mots qui en émanent, en les gravant sur des dalles de bétons permanentes et résistantes aux intempéries. On y retrouve par exemple des lilas, qui symbolisent les larmes, ou des roses qui sont assimilées au grand jour.
Une transition toute en douceur
Le visiteur bascule ensuite dans la deuxième salle d’exposition, la Mezzanine, où se trouve, comme suspendue entre le jour et la nuit, En attente de l’aube qui nous surprendra aux rives du sommeil. Il s’agit d’une œuvre composée de draps métis en coton et en lins suspendus dans le temps et dans l’air. Au-dessus de ces derniers se trouve une série de noirs représentant les derniers vestiges de l’obscurité, rythmés par une musique lancinante comme les derniers échos de la nuit.
L’exposition nous conduit ensuite dans un troisième espace qui abrite Le grand jour. Ici encore, c’est au papier que fait recours Joël Andrianomearisoa. Blanc, cette fois, il est surexposé grâce à une grande lumière blanche, à la fois éblouissante et perturbante. La même salle accueille aussi une nouvelle œuvre de l’artiste ; un travail textile intitulé Les guirlandes du grand jour, mis en place comme une sorte de célébration de la lumière, de la vie.
L’infinité du temps
On finit par la dernière salle qui expose Never ending story qui raconte l’histoire infinie, interminable du jour et de la nuit. L’artiste termine son œuvre sur un travail de broderie, réalisé avec des laines de tapisserie. La présence de tableaux ici est intéressante parce qu’elle contraste avec les grandes installations du début. Il faut dire que, pour l’artiste, la broderie symbolise l’infinité du temps, car il faut du temps et de la patience pour en faire.
Le fil de broderie qui est tourné à l’infini dans le même geste représente la conclusion de tout ce parcours, dans la douceur absolue, entre l’inquiétude du noir et la grande surprise du jour.
Au total, c’est un parcours paisible, agréable et neutre que promet cette exposition qui est ouverte jusqu’au 1er novembre 2020 au Domaine de Chaumont-sur-Loire.
Joël Andrianomearisoa : la passion du noir
Joël Andrianomearisoa est né à Antananarivo, en 1977. Il commence sa formation artistique par le dessin dans une école d’arts visuels, au sein de laquelle il côtoie divers artistes designers d’envergure internationale, ainsi que de nombreux artisans locaux.
En 1997, à 20 ans, il intègre l’École Spéciale d’Architecture de Paris. Il y rencontre l’architecte Jean-Loup Pivin et le critique d’art camerounais Simon Njami. Ces rencontres vont considérablement influencer son travail artistique sur le plan de l’architecture. Dès cette époque, il considère que cette dernière est coincée par la rigueur des règles qui la régissent. Cette posture inhabituelle le conduit à soumettre, pour l’obtention de son diplôme en 2005, un projet architectural combinant graphisme et utilisation de textiles. En dépit des recommandations à une approche classique de sa directrice de recherche, Odile Decq, il assume son besoin d’originalité et n’hésite pas à remettre en cause les dogmes du secteur.
Une œuvre polymorphe
À ses premiers pas dans l’univers artistique, Joël Andrianomearisoa prospecte plusieurs branches des arts visuels, notamment la scénographie, la photographie, la vidéo, le design et la mode. Cette riche expérience transparait dans son travail qui est basé sur l’utilisation d’une multitude de matériaux, dont les minéraux, le bois, le papier et les textiles. De nombreux autres objets insolites apparaissent aussi dans ses créations : des tampons, des parfums, des miroirs et bien d’autres.
Une multiplicité de matériaux qui fait office de médium entre l’élément inexistant, abstrait, caché dans les méandres de l’imagination de l’artiste, et l’œuvre matérielle et palpable chargée de toutes sortes d’émotions. Les travaux de Joël Andrianomearisoa revêtent ainsi à la fois une complexité et une esthétique uniques.
S’ouvrir au public
Quand on l’interroge, l’artiste n’hésite pas à décrire le processus créatif sur lequel repose son travail. Car selon lui, il est désormais important pour les artistes d’expliquer au public l’histoire de leurs œuvres, ainsi que les procédés qu’ils utilisent pour créer. Ces explications construisent une passerelle entre le caractère abstrait de l’art et la compréhension qu’en a le public. Une sorte de connexion s’établit alors entre ce dernier et l’œuvre de l’artiste. Par contre, pour Joël Andrianomearisoa, il est important de ne pas limiter son art à ces descriptions qui ne doivent pas empêcher le spectateur d’avoir son propre ressenti.
Une reconnaissance à l’international
La notoriété internationale de Joël Andrianomearisoa réside avant tout dans le fait qu’il a participé de manière active à l’essor de son pays sur le plan artistique et culturel à travers plusieurs projets, comme le festival Fashion Manja (1998), les rencontres de la Danse africaine « Sanga 3 » (2003) ou encore le festival Photoana (2005).
Tout au long de son parcours, l’artiste malgache a reçu plusieurs distinctions internationales qui le positionnent parmi les artistes plasticiens les plus demandés de son pays et d’Afrique. En 2003, il est ainsi distingué Architecte Desa de l’École Spéciale d’Architecture de Paris. En 2016, son œuvre intitulée Le Labyrinthe des Passions lui permet d’être primé à l’ARCO Madrid, la foire espagnole d’art contemporain. Il devient ainsi le tout premier artiste plasticien de nationalité étrangère à y décrocher le prix Audemars Piguet, qui était jusque-là, la chasse gardée des artistes espagnols.
En 2019, Joël Andrianomearisoa a été élevé au rang de Chevalier des Arts et des Lettres par les autorités malgaches.