En Côte d’Ivoire, il existe une jeune et merveilleuse lobbyiste, féministe dans l’âme qui utilise une partie insolite de son corps pour mener ce combat si cher à son cœur : ses cheveux ! Mêler art, corps et militantisme n’a rien de secret pour elle.
Avec des millions d’abonnés sur les réseaux sociaux, des œuvres exceptionnellement engagées, une autobiographie très appréciée, une carrière en plein essor, elle défie depuis plusieurs années les codes de l’art et de la sculpture. Femme, noire, jeune et talentueuse, découvrez Laetitia Ky, une artiste qui nous fait voir les cheveux d’une manière inattendue.
Se réapproprier son identité et son corps
Laetitia Ky est née en Côte d’Ivoire en juin 1996. Brillante, elle obtient son baccalauréat à 15 ans et entre à l’Institut National Polytechnique de Yamoussoukro pour suivre des études de commerce. Si la jeune femme est aujourd’hui solide, sûre et libre, il n’en a pas été généralement ainsi. Laetitia Ky, à travers quelques interviews, publications et son livre, raconte comment, petite, elle a affronté l’aversion de son corps qui la poussait à des troubles alimentaires.
“J’avais, je crois, 9 ans quand j’ai commencé à détester l’image que mon corps me donnait. C’est dur quand tes camarades (filles) d’école ont déjà eu leurs règles et que tu es juste un enfant. Elles étaient toutes à couper le souffle alors que je n’étais qu’une jeune fille délicate. La majorité d’entre elles étaient en outre dépigmentées. Donc, en plus du fait que j’étais très noire, la norme de beauté était d’être claire, mais j’étais mince, je n’avais rien. »
Vers treize ans, elle sombré dans la boulimie, puis, après une expérience horrible en classe, dans l’anorexie. Le chemin vers la guérison commence quand elle voit l’inquiétude de sa mère devant son poids, dangereusement faible.
Laetitia Ky concède qu’elle se serait bien passée de tout ce qui la concernait : sa minceur, sa couleur foncée, ses cheveux crépus, sa présomption de monstruosité et sa confusion, sa qualité de femme, prise en défaut par les normes et les standards de la société. Vers ses seize ans, elle effectue un retour aux cheveux naturels. Le rapport qu’elle entretient avec son corps commence à changer.
Vers la fin de l’année 2015, elle tombe sur une publication d’un compte Instagram de photographies de coiffures précoloniales de femmes africaines. Enthousiasmée, elle conclut de faire des tests avec ses propres cheveux. C’est le début de l’aventure qui la fera devenir une icône du féminisme et de l’art en Afrique.
Le cheveu comme matière première
Les œuvres de Laetitia Ky ne sont pas à poser sur une table, on ne les ramène pas chez soi après après une vente serrée. Elles sont sur sa tête, le temps d’une pose et d’une diffusion sur le Web. Cela tient aux matières premières que l’artiste utilise dans la conception de ces œuvres. Les outils de Laetitia Ky pour produire, ce sont des fils de fer, de la laine, des aiguilles, des fils de couture ou de tresse et, évidemment, ses propres cheveux !
Les cheveux sont une vieille passion pour Laetitia Ky. Elle apprend à tresser dès l’âge de cinq ans, s’occupe des cheveux de sa mère et ses sœurs depuis plusieurs années. Au début de cette aventure artistique avec ses cheveux, aucune intention particulière donc, sinon celle de célébrer le cheveu naturel africain avec fantaisie et inventivité. Au fil des mois et des publications, de plus en plus poussées, parlantes, l’audience de Laetitia Ky sur les réseaux sociaux explose. Les retours, expériences et témoignages positifs que ses publications entraînent lui font réaliser le pouvoir d’expression que ses cheveux et sa créativité possèdent.
Les sculptures de la jeune activiste deviennent plus engagées. Elle se joint au mouvement #MeToo en 2017 avec une sculpture représentant un homme soulevant la jupe d’une femme. Elle n’hésite pas à aborder des sujets sensibles voir tabous comme les violences faites aux femmes, la discrimination due au sexe, la perception de la valeur de la femme. Elle affirme sa féminité avec des représentations du corps féminin, buste, fesses, organes génitaux. Les messages qu’elle souhaite véhiculer portent sur des thèmes qui lui sont chers: l’acceptation de soi, le body positivity, l’environnement, la défense de l’identité africaine, les droits de la femme.
Au magazine Vogue, Laetitia Ky dira: “C’est important pour moi d’exprimer mon héritage africain à travers mes coiffures. Je m’utilise comme une toile afin de symboliser la confiance en soi et l’amour-propre. De mon féminisme à d’autres causes que je soutiens, j’utilise mon travail pour répondre à ce en quoi je crois. Cette forme d’expression me permet d’être entendue.” La jeune artiste se définit elle-même comme féministe africaine, arguant des spécificités du combat sur le continent.
Féministe et pas seulement !
Aujourd’hui, six ans après le début de cette carrière artistique, la jeune femme est bien plus qu’une sculptrice. Artiste visuelle, elle peint et fait du stylisme. En 2018, elle lance une collection « Kystroy » qui mélange le tissu imprimé et le jean effiloché. Elle reçoit la même année l’un des trois prix Jeunesse Francophone 35.35 de la catégorie Blog, influence digitale et innovation media.
En 2019, elle est finaliste du concours Elite Model Look dans la catégorie Influenceur et gagne le prix du meilleur créateur digital. En 2020, elle produit des œuvres pour une collaboration avec Marc Jacobs sur une collection de sacs à main. Elle fait partie des finalistes de la catégorie « Instragrammers » de la douzième édition des Shorty Awards.
Désormais actrice, elle est à l’affiche en 2021 du film “La Nuit Des Rois” de Philippe Lacôte, tourné en 2019, qui remporte plusieurs prix dont le Amplify Voices Award du Festival International du Film de Toronto. A l’automne, elle tourne dans le film Disco Boy du réalisateur italien Giacomo Abbruzzese. Elle est entrée au Livre Guinness des Records en mars 2021 pour être celle qui a fait le plus de sauts à la corde le plus rapidement avec ses propres cheveux.
Le 5 avril 2022, elle sort son premier livre Love and Justice: A Journey of Empowerment, Activism, and Embracing Black Beauty, aux éditions Princeton Architectural Press où elle revient sur son parcours et ses convictions. Elle y parle de son enfance en Côte d’Ivoire, ses liens familiaux solides, son attachement à ses racines africaines, son propre cheminement vers l’amour-propre et son désir d’élever d’autres femmes, en particulier les femmes africaines. Le livre contient des photographies d’une centaine d’œuvres capillaires jamais encore présentées.