Dans une perspective de faire découvrir au grand monde nos dialectes qui contiennent nos souvenirs et sont les clés du lancement de nos coutumes, l’artiste contemporaine Sènami Donoumassou fait découvrir l’univers d’une existence passée où nous retrouvons nos origines.
À travers son solo show « Xógbé » à Le Centre de Lobozounkpa, au Bénin, elle met en avant le « Fâ », conseiller incroyable et libérateur de la multitude de dieux qui s’abaissent devant lui. Elle relate cet auteur du destin et nous propose une exploration des éléments de notre héritage social théorique en se concentrant spécifiquement sur les panégyriques familiaux, l’écriture Fà, les dictons et les histoires.
L’exposition « Xógbé » nous propose un échange entre les religions coutumières et importées, qui coïncident dans l’existence quotidienne, à travers des recommandations imaginatives flottant autour des mancies, des pétitions et de notre relation aux morts et tend vers l’idée d’interprétation, interroge la place de l’oralité dans nos pratiques et notre société contemporaine et met par ailleurs en scène l’intraduisible, ces mots difficiles à déchiffrer et à décrypter.
L’exposition « Xógbé », Sènami Donoumassou donne corps, plastiquement, à ce qui n’est pas matière, comme une approche potentielle pour protéger l’insaisissable héritage social, érigé en une des meilleures abondances du Bénin. Une démarche pour notifier sans relâche la nécessité de sécuriser et de défendre les fondements de notre caractère collectif et individuel.
« Xógbé » un voyage multiple à travers plusieurs œuvres
Les panégyriques familiaux Akɔ mlă
Sur une série de 12 photogrammes sur papier baryté argentique, Sènami Donoumassou propose douze représentations pour nous présenter ce pan engagé des panégyriques, un type conventionnel de narration élogieuse qui relate et loue la toile de fond historique d’une famille, d’un groupe, d’une région locale : réalités distinguées, coutumes, valeurs, restrictions, emblèmes, etc.
Ils sont racontés à l’occasion d’incroyables cérémonies, mais aussi toujours pour calmer, détendre ou louer la gratitude de ceux à qui ils sont adressés. Ils sont transmis, comme héritage, d’un âge à l’autre. Bien qu’ils soient importants pour certaines traditions, d’ici et d’ailleurs, ils disparaissent sous l’effet de la mondialisation et sont appelés à disparaître.
Ces photogrammes sont accompagnés d’une bande sonore constituée d’une série de panégyriques que l’artiste a obtenus au cours de son processus d’exploration et de création.
Fà gbésisà
Sur une série de 16 photogrammes sur papier baryté argentique, Sènami Donoumassou propose « Fà gbésisà » l’histoires morales, mots incantatoires ou adages qui caractérisent l’information innée dans le Fà.
Art divinatoire, le Fà – issu de Ilé Ifè, dans l’ancien royaume d’Oyo au Nigeria occupe une place importante dans la plupart des modes de vie des populations du Bénin. Au-delà de sa perspective divinatoire, le Fà se décline en différents types d’écrits qui sont essentiellement : le Fà gbésisà, le Fàgléta (récits liés aux indications du Fà) et le Fàhan (airs qui déroulent la toile de fond historique des indications du Fà).
A travers une organisation oscillant entre le tarot et le polaroïd, Sènami Donoumassou met en scène les ressemblances et les dissemblances de deux mancies : la géomancie (Fà) et la cartomancie, deux expressions divinatoires pratiquées dans des sociétés différentes. La série Fà gbésisà présente des œuvres reprenant les noèmes, allégories morales, des seize indications primaires du Fà.
Lõ
Une série de 7 dessins Papier, expresso, encre qui présente les maximes, réalisées sur du papier mûri à l’expresso, elles réverbèrent les bas-reliefs, spécialité importante du royaume du Danxomè. Chaque œuvre délimite un dicton Fon comme pour transmettre le sens caché en son sein, le rapport à la nature, aux hommes et aux êtres divins dans la culture Fon.
Hwènuxό
Une installation in situ Lampe, natte, tabouret, textes et un récit pour projeter chacun des visiteurs dans une nuit crépusculaire. Hwenuxό présente trois interprétations distinctes d’une même histoire mettant ainsi en scène, ce qui se perd et ce qui reste, lors de l’interprétation de nos contes en français. Elle met également en évidence les espaces de transmission coutumiers qui, eux aussi, disparaissent…
Ðɛgbè
Avec une dominance d’une figures d’Asɛn, objets cérémoniels, Sènami Donoumassou apporte son coup d’œil sur l’acte de prière aux morts dans les religions importées et coutumières et rappel que dans la religion vodoun, le défunt est applaudi et fréquemment sollicité par des contributions. Cette formation a lieu pour la plupart du temps à la suite d’une discussion sur le Fà ou au cours d’une énorme cérémonie familiale consacrée au défunt de la famille.
Les religions importées, quant à elles, font appel à Dieu pour le repos de l’esprit du défunt.
À travers cette installation, l’artiste nous permet en outre de découvrir l’omniprésence de cet acte de supplication qui dépasse les convictions et les religions pour avoir une place lors des offices.
Composé de trois Asɛɛn (espaces compacts surélevés dédiés aux défunts), cette installation dévoile les différentes parties de la demande aux précurseurs (espaces surélevés, contributions, objets personnalisés…). Rejoints par une bande sonore de lieux en lien, les prières des religions musulmane, catholique et vodoun, comme pour inspirer une idée de synchrétisme.
Sènami DONOUMASSOU
Artiste visuelle, transdisciplinaire, Sènami Donoumassou investie dans de sa pratique créative, les pensées du caractère, de l’héritage et de l’histoire.
Elle teste, à travers ses manifestations, oscillant entre photogrammes, installations protéiformes et dessins, l’étendue des possibilités et merveilleuses de la lumière. Depuis l’installation « Qui suis-je ? » pour les expositions « Amazones » et « [In] visibles-Femmes souveraines » à l’Institut français, elle a proposé une récade pour la reine évincée de l’histoire du royaume du Danxomè Tassi Hangbé. S’en ai suivi une exposition collective « Didé » aux côtés de Chléophée Moser, Sarah Trouche et Mounia Youssef à l’Institut Français de Cotonou.
Quelques mois plus tard, elle obtient un prix pour une résidence de création au Studio national des arts contemporains – Le Fresnoy ou elle explore de manière intéressante le photogramme pour ses aspects allégoriques, plastiques et esthétiques à travers la réalisation d’une installation et de la série Bibliothèque de cellules. Ce nouveau souffle qui transporte à sa première exposition monographique « Chimie des traces ».
Présentée dans l’exposition collective « Contemporary Bénin » à la Fondation Donwahi à Abidjan, elle l’est également sur « Art du Bénin, d’hier et d’aujourd’hui : de la restitution à la révélation » au Palais de la Présidence du Bénin et sera aux Rencontres Africaines de la Photographie de Bamako cette année.
L’exposition « Xógbé » sera ouverte jusqu’au 14 août 2022 à Le Centre de Lobozounkpa.