Xanthe Somers dévoile « Invisible Hand » : entre fils narratifs, identité et artisanat

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Invisible Hand Xanthe Somers Southern Guild Cape Town 29 Aug - 7 Nov 2024

Jusqu’au 7 novembre, la Southern Guild de Cape Town s’illumine avec l’exposition personnelle de Xanthe Somers, intitulée « Invisible Hand ». Cette galerie, véritable écrin de la créativité, a le plaisir de présenter les sculptures en céramique à grande échelle de cette artiste zimbabwéenne, dont l’approche artistique propose une critique réfléchie des économies d’extraction et des notions de domesticité dans un contexte postcolonial. L’exposition offre également un voyage sensoriel à travers son pays d’origine, en explorant les thématiques d’histoire, d’artisanat et d’identité.

Résidente à Londres, Xanthe Somers dévoile dans cette nouvelle série d’œuvres trois récipients monumentaux, fruits de sa résidence à GUILD, réalisée plus tôt cette année. Cette expérience artistique a permis la naissance de ces chefs-d’œuvre artisanaux, mettant en lumière une discipline créative souvent sous-évaluée. L’artisanat, qualifié hâtivement de travail de femmes, porte cependant un lourd héritage culturel et mérite d’être célébré.

Xanthe Somers dévoile « Invisible Hand » : entre fils narratifs, identité et artisanat
Xanthe Somers
The Weary Weaver, 2024
Glazed stoneware
39.38 x 28.38 x 28.38 in. | 100 x 72 x 72 cm

Fusionnant des techniques telles que la couture, le raccommodage, le tissage et la piqûre, l’artisanat constitue un ensemble créatif d’une richesse inestimable. Lorsqu’il est pleinement exploité, il donne vie à des œuvres d’une profondeur culturelle saisissante. Ces pratiques, fréquemment perçues comme de simples passe-temps, revêtent en réalité une valeur culturelle et artistique significative, tant dans les espaces publics que dans nos intérieurs.

Le titre de l’exposition « Invisible Hand » évoque la théorie du marché libre de l’économiste Adam Smith. Selon cette théorie, la quête de l’intérêt personnel par les individus, les entreprises et les entités juridiques bénéficierait indirectement à la société dans son ensemble, favorisant ainsi la croissance économique et la prospérité sans nécessiter de coordination ou de direction centralisée. En choisissant ce titre pour mettre en lumière des travaux et des efforts souvent dévalorisés, Xanthe Somers aspirent à une justice épistémologique, interrogeant ainsi le degré d’« autonomie » du marché.

L’ensemble des œuvres présentées par l’artiste contemporaine puise son inspiration dans l’art indigène zimbabwéen et s’inscrit dans le contexte politique et historique de Binga, durement impactée par la construction du lac Kariba entre 1955 et 1959. Ce projet monumental, qui a donné naissance au lac le plus grand lac artificiel du monde en volume a engendré des conséquences dévastatrices : des étendues de terre ont été submergées, les habitats naturels ont été modifiés, la faune a été affectée, et plus de 57 000 personnes ont été déplacées des rives du fleuve Zambèze.

Xanthe Somers
Of Woof and Woe
Glazed stoneware
43.25 x 25.25 x 25.25 in. | 110 x 64 x 64 cm

Xanthe Somers s’approprie les techniques traditionnelles de fabrication de paniers de la région, traduisant cette pratique dans l’argile. Elle emploie le tissage comme métaphore et méthode mnémotechnique, mettant en lumière la capacité de l’argile à capturer la mémoire et à articuler des concepts liés à la domesticité. Bien que considéré comme un matériau quotidien, l’argile est d’une importance capitale : les briques qui constituent les fondations de nos habitations proviennent de la terre qui les soutient. Par ailleurs, les objets en grès qu’il s’agisse d’assiettes ou de récipients spéciaux représentent le substrat même de l’existence humaine, établissant ainsi un lien profond entre la culture et l’environnement.

Les œuvres de Xanthe Somers s’inspirent également du poème Weaving de Lucy Larcom, écrit en 1868. Ce poème fait écho aux expériences des ouvrières d’usine du Massachusetts d’avant la guerre de Sécession, guidant les lecteurs à travers la réalité du tisserand au métier à tisser. Parmi ses créations, la céramique Of Woof and Woe se présente comme un récipient fait main, mesurant un peu plus d’un mètre de haut. Son titre provient de la troisième strophe du poème, qui se termine par ces mots poignants : « Mais à chaque fois que je tisse, le monde des femmes me hante. » Teintée d’une couleur étain aux reflets nacrés, cette œuvre imite la stéatite, souvent utilisée dans la sculpture au Zimbabwe.

Évoquant un panier typique de la région de Binga, le récipient se caractérise par deux styles de tissage distincts : de lourdes boucles qui se fondent en une tresse d’argile à trois brins plus délicate. La récurrence du mot tissage dans le poème de Larcom se retrouve dans la technique de Xanthe Somers, générant des images de mouvement incessant et transformant cet acte en une nécessité contraignante. À travers le tissage, l’artiste étend les fils minuscules qui constituent nos tapisseries sociales. Dans ce contexte, le tissage symbolise la cohésion sociale, la création de sens et la préservation de la mémoire. Elle connecte ses mouvements corporels à un réseau plus vaste de femmes marginalisées, dont les talents, les efforts et le travail sont souvent minimisés, moqués ou effacés.

Xanthe Somers
Tales Untold, 2024
Glazed stoneware, nylon cord
39.75 x 25.25 x 25.25 in. | 101 x 64 x 64 cm

Avec ses formes en boucle et ses couleurs éclatantes, The Weary Weaver dans « Invisible Hand »,rappelle davantage les œuvres antérieures de Xanthe Somers que Of Woof and Woe. S’inspirant de la politique postcoloniale du Zimbabwe, les lignes et les couleurs de ce récipient—vert, jaune, rouge et blanc—s’apparentent à celles du drapeau de son pays natal. Des anneaux blancs traversent des perforations dans le corps du récipient, offrant au spectateur un aperçu de son intérieur. Le titre, tiré de la dernière strophe du poème de Larcom, souligne notre fardeau moral collectif et nous rappelle notre responsabilité d’apporter soutien et solidarité à ceux qui sont opprimés.

Dans « Invisible Hand », Xanthe Somers nous pousse à réfléchir sur la façon dont la postcolonie alimente des campagnes de violence contre les peuples marginalisés, nous invitant à considérer la banalité avec laquelle la cruauté peut s’installer. Pour accompagner l’exposition, l’artiste zimbabwéenne a écrit un poème dans lequel elle s’interroge : « Quelle tapisserie créons-nous et que dit l’histoire ? Qu’est-ce qui existe aux extrémités et que se passe-t-il dans la mêlée ? Quel fil est tiré et non remplacé ? Qui répare les trous lorsqu’ils se déchirent ? Qui essuie la poussière de ce tapis foulé ? Qui nettoie les draps sur lesquels nous nous couchons ? Quels rêves emmêlés se nouent comme de la dentelle, tandis que d’autres se dénouent et s’effondrent ? »

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