« Tokyo », l’exposition de l’artiste contemporain ivoirien Aboudia présenté jusqu’au 28 août 2021 à La Galerie Cécile Fakhoury offre de nouvelles œuvres sur toile et sur papier, une fresque monumentale ainsi qu’une sélection de dessins issus des archives de l’artiste.
« Tokyo », comme une source de mise en perspective, c’est un hommage à son quartier Yopougon que rends l’artiste. il convoque l’opportunité du travail artistique Aboudia, qui dessine un monde à la géologie fluide, animé de tout cœur par un groupement de références en étoile, où le présent est le meilleur.
Couvrant un grand espace de l’exposition par une gigantesque fresque de treize mètres de long, Aboudia invite le visiteur et le transporte dans un autre univers. Une sorte d’hommage indirect à la langue ivoirienne : Le Nouchi.
À Abidjan, beaucoup parlent ce langage, et presque tout le monde le comprend. Pourtant, elle progresse sans cesse, de nouveaux mots sont créés chaque jour. Il n’y a pas de mot de référence, pas de fondation, pas d’autorité pour la diffusion. Alors, elle ne s’arrête jamais et est constamment rafraîchie dans la familiarité de sa réalité et c’est cela qui lui permet d’être une langue profondément vivante. Et entre le Nouchi et l’univers plastique de l’artiste Aboudia, il y a une similitude. Un développement fait d’innovation et d’énergie sans fin.
Aboudia crée ainsi son propre jargon artistique, dont la force résonne avec les rencontres fluctuantes des différents observateurs. En ne s’adaptant à aucun code, son travail transcende les lignes pour arriver à une forme globale. Ses œuvres nous emmènent dans une excursion dans sa réalité, qui nous rappelle quelque chose.
Dans son monde, l’ailleurs fantasmé vient se graver dans la vérité du présent, et la masse de sa vérité est continuellement annihilée pour laisser place à des rêves égaux. L’incompréhensible n’y a pas sa place et comme l’affirme le fondement de sa fresque, faite d’un assemblage d’images, d’articles, de photos ou de pages de livres, l’artiste s’approprie ce dont il n’a pas la moindre idée, fait sien ce qui est autre, sans attendre l’approbation de quiconque.
Lorsqu’il pénètre dans l’exposition, le visiteur est pris au piège d’une musicalité désordonnée et pratiquement envoûtante, chaque nuance apportant un autre battement de cœur, chaque matériau une autre note. Ici des cartons, là des vêtements de jeunes. D’un côté, des tons fluorescents et électriques, de l’autre des teintes sombres aux accents mélancoliques.
« Au gbaki », l’une des toiles de l’exposition, se distingue par la présence de vêtements d’enfants brillants joints à la toile, comme s’il s’agissait de la répétition de l’énorme installation composé de vêtements d’enfants et de peluches présentés en 2016 dans son exposition « Môgô Dynasty ».
Les coulures de peinture évoquent les longues cordes de texture de l’époque témoignent ainsi de la solidité élégante et éphémère de l’univers de l’artiste. Dans cette œuvre, les vêtements se réveillent. Imprégnés d’un environnement occupé et résonnant, en résonnance aux petits jeunes en vêtements vifs qui jouent sur les routes, les klaxons des véhicules couvrant de temps à autre leurs rires.
Une sorte de questionnement sur leurs histoires ? Comme pour nous demander si nous voyons réellement les premiers instantanés de l’opportunité des jeunes du regard parental ou des enfants passés à leurs propres choix ?
L’ouvrage n’en dit pas tant. Cependant, elle dit l’agitation, la chaleur, l’énergie et les jeux. Elle dit un ravissement tumultueux, une existence quotidienne qui inonde l’espace.
Dans les toiles de l’artiste, de nombreux regards nous remarquent, leur rictus devient amusant, voire moqueur. Comme si elle se demandent : Que faisons-nous là ? Qu’est-ce qui se passe ?
Ses œuvres sont ambivalentes, défiantes. Les personnages de ses toiles ne se laissent pas fixer ou saisir. Ils se plaisent plutôt à nous détourner par leur double forme, à éviter sans cesse nos hypothèses, voire notre regard.
Aboudia joue ainsi avec les principes de la figuration et de la délibération, et ceux de l’art contemporain en général. Il en vient à déconstruire l’espace de sa forme et se défend avec fougue, avec toute sa coterie, ses gbonhi, dans un monde qui tente de les traiter.
Dans chaque œuvre, une foule de vies grouille, un élan d’air et d’agitation, des contours qui cherchent leur place dans des espaces avidement trop étroits.
On sent dans ces toiles la présence des Ziguéhis d’hier jusqu’à la naissance et l’affirmation des Nouchi.
Aboudia observe, remarque et s’immerge dans sa ville, il fait corps avec son développement, ses changements. Il nous offre jusqu’au 28 août 2021 à La Galerie Cécile Fakhoury un voyage à sensations fortes depuis le bord de mer de l’Afrique de l’Ouest.