L’espace artistique de la Galerie Cécile Fakhoury à Abidjan s’anime sous les couleurs vibrantes et immersives de l’exposition « Le goût de la mangue ». Présentée jusqu’au 7 septembre, cette exposition marque la première incursion de Rachel Marsil dans la capitale économique ivoirienne. Elle plonge la galerie dans une atmosphère rafraîchissante, où se déploie un univers visuel captivant, fait de végétation luxuriante et d’une mer paisible, presque familière.
Originaire du Sénégal et résidant actuellement à Paris, Rachel Marsil est diplômée de l’École Nationale des Arts Décoratifs de Paris. Elle développe un langage artistique unique, à la croisée du design textile et de la peinture. À travers son art multidisciplinaire, elle aborde des questions d’identité et les représentations qui en découlent. Sa pratique artistique explore les dynamiques mémorielles et identitaires véhiculées par la circulation culturelle des images, qu’elles soient personnelles ou archivées, dans un contexte postcolonial, multiculturel et globalisé. De la peinture au textile, le travail de cette artiste contemporaine s’inscrit dans un processus de réappropriation de soi.
Dans l’exposition « Le goût de la mangue », Rachel Marsil s’aventure vers de nouvelles représentations, notamment à travers des peintures de baigneuses inspirées par le style de Paul Gauguin ou d’Émile Bernard. Cependant, un élément récurrent capte l’attention du public et donne tout son sens au titre de l’exposition : la mangue. Ce fruit exotique, apparaît sur la plupart des toiles de l’artiste. Au centre de la salle, une plateforme en forme de mangue accueille de petites sculptures qui mettent en valeur ce fruit rafraîchissant. Dans cet espace, la mangue acquiert une dimension symbolique, étant considérée comme le fruit de l’amour.
En résidence artistique à Grand-Bassam depuis le mois de mars, Rachel Marsil s’imprègne de l’atmosphère historique de cet endroit, arpentant chaque jour les vastes allées ombragées de manguiers, probablement sur le même chemin que les femmes d’Abidjan venues en 1949 revendiquer la libération des responsables politiques emprisonnés par les autorités coloniales. Il n’est donc pas surprenant que les femmes représentées par l’artiste se tiennent avec assurance, incarnant défi et fierté.
Dans l’atelier d’un bronzier de Grand-Bassam, elle approfondit son travail de sculpture, entamé à l’automne 2023 lors de la biennale de sculpture de Ouagadougou. Ainsi, elle dévoile une nouvelle série de sculptures en bronze et en bois, où des fruits équilibrent délicatement leur poids. Ces arbres fruitiers deviennent alors des allégories de la longue et parfois délicate croissance de l’amour, comme le décrit si bien bell hooks.
Rachel Marsil s’exprime selon ces termes : « Dans l’un de ses essais les plus connus et les plus fascinants, A propos d’amour [1], l’écrivaine américaine bell hooks explique qu’aimer est un verbe d’action. En quête d’une définition de l’amour, elle reprend celle du psychanalyste Erich Fromm qui le définit comme « la volonté de s’étendre soi- même dans le but de nourrir sa propre croissance spirituelle ou celle d’autrui. ».
En conclusion, l’amour transcende le simple sentiment, il est un choix et un acte volontaire, se manifestant par la création d’un environnement bienveillant, respectueux et honnête. C’est cette atmosphère chaleureuse que Rachel Marsil aspire à recréer dans son exposition « Le goût de la mangue ». Au-delà de l’harmonie esthétique, les personnages qu’elle dépeint semblent communier en profondeur, qu’il s’agisse de couples, d’amis ou de sœurs vêtues comme des jumelles. Dans cet écosystème accueillant imaginé par l’artiste, le fruit de l’amour prend la forme d’une mangue, dont on ne sait si elle représente le fruit défendu, tant les femmes qui s’en saisissent hésitent à en goûter la saveur, préférant le conserver comme un objet précieux.
Les visages paisibles, au premier abord identiques, provoquent une interrogation chez le spectateur qui prend le temps de les contempler, nous renvoyant ainsi à nos propres émotions. Bien que ces visages puissent sembler à première vue le reflet d’une grande sérénité, ils dissimulent en réalité, par moments, des nuances de solitude, de doute ou de mélancolie. De plus, il est difficile de les situer dans le temps, tant les indices manquent pour en déceler l’époque précise.
Certaines toiles évoquent une esthétique rappelant les photographies de studio ouest-africaines des années 1960, dont l’artiste s’inspire tant pour les poses que pour les tenues. Cependant, Rachel Marsil s’éloigne du simple portrait et des scènes d’intimité en introduisant des œuvres qui tendent vers une forme d’abstraction naissante. Elle y représente des mangues sur des fonds géométriques ornés d’arabesques et de courbes, des compositions qui évoquent les motifs des tissus batik, un savoir-faire emblématique de Grand-Bassam. Cette approche rappelle également sa formation initiale en design textile, un héritage qui transparaît dans son travail.
Le style artistique de Rachel Marsil se retrouve parfaitement dans cette nouvelle exposition « Le goût de la mangue », peinture, motif, figuration, un grain d’abstraction, elle renvoie des toiles et des sculptures tout en esthétique. À travers ses œuvres aux nuances vibrantes et des figures archétypales saisissantes, elle parvient aisément à capturer l’attention des visiteurs qui s’émerveillent sur la pertinence de ses créations et son savoir-faire unique.