A l’occasion de la vingtième commémoration de la loi Taubira, percevant la servitude comme une atrocité innommable, le palais des Ducs de Bretagne et le Musée d’histoire de Nantes qu’il abrite, accueille l’artiste contemporain béninois Romuald Hazoumè pour confronter sa vision aux collections du Musée d’histoire de Nantes.
L’objectif du Château des Ducs de Bretagne est d’investiguer les collections par la pensée décolonisatrice. « Expression(s) décoloniale(s) », qui se tient jusqu’au 14 novembre 2021, présente quelques grandes œuvres réalisées à partir de bidons utilisés dans le trafic d’essence frelaté entre le Nigeria et le Bénin. Animées par des hommes au péril de leur vie, elles permettaient d’alimenter en carburant la majeure partie du pays.
Le parcours de l’exposition « Expression(s) décoloniale(s) », propose une pièce maîtresse, placé à l’entrée du musée, qui apparaît comme un dé encadré par les tongs laissés par les gens de passage avant leur intersection mortelle de la Méditerranée et interroge le prix à payer pour une vie meilleure.
De son immense cour aux salles du Musée d’histoire, la convocation se fait de temps en temps par de petits contacts. Dans une salle consacrée à la traite atlantique, l’artiste béninois diffuse une bande sonore simple. Ce sont des voix de personnes, des airs, des gémissements, qui racontent l’effroi et la maladie sur le bateau qui les arrache à l’Afrique.
Et s’ajoute au coffrage en bois une pièce, faisant ressortir l’entrepont d’un transport d’esclaves. Une gravure présentant le transport nantais, la Marie-Séraphique, et les plus de 300 esclaves qui y étaient entassés. Et les liens qui les enchaînaient, aux matraques utilisées pour les calmer. Ou encore aux armes offertes par les courtiers à leurs intermédiaires africains.
Des éléments, des messages, des objets, des maquettes, des voix humaines pour ressusciter une réalité longtemps passée sous silence, au motif que Nantes a été le principal port négrier de France, donnant plus de 42% des vols des entreprises d’échange entre 1707 et 1793.
Romuald Hazoumè
Né en 1962 à Porto-Novo, Romuald Hazoumè est d’origine Yoruba. Il a été profondément marqué par le vaudou et a connu une enfance dans une famille catholique. Compte tenu de sa double culture, il rencontre une situation conflictuelle qui se reflète dans la production de ses masques et de ses installations, qui n’est point réalisée selon la coutume yoruba, mais qui est syncrétique à partir de matériaux réutilisés.
Au cours des années 1980, il a réalisé ses premières sculptures à partir de bidons en plastique qui, après une intercession insignifiante, transmettent discrètement sa vision fondamentale des figures et des cadres politiques africains.
Ses matériaux ? Des détritus, des objets anciens, qu’il rassemble pour en bouleverser la signification et structurer des modèles d’une importance inouïe, à l’image de ses célèbres voiles façonnés à mauvais escient, toutes choses égales par ailleurs. Soumise et politique, son œuvre interroge un monde qui déborde et dont l’ensemble des expériences est défriché avec vilenie…
Il réinvestit l’Histoire et son exploration se traduit par des œuvres étonnantes et percutantes, assignant sa responsabilité contre tous les types d’asservissement, de souillure, de trafic qu’il dresse comme des déclarations définitives des flots actuels.
Romuald Hazoumè contacte également un peu la pointe de l’assujettissement dans nos pays, où les plus exclus jouent leur vie pour quelques billets. Pour lui, les élites ont plus de devoirs mais malheureusement ce sont ces individus semblables depuis très longtemps, juste fixés comme ces bidons, qui ont juste envie de rester au pouvoir.
Mais le peuple n’est pas sans tort car ils attendent avec fatalisme une amélioration de leur part ou d’une assurance extra-mondaine « musulman, chrétien, évangéliste, vaudou… parfois tout à la fois ». Pourtant, si Romuald Hazoumè n’évite pas les grandes configurations ou les sujets atroces, comme la servitude et l’avilissement, son œuvre est surtout chargée d’humanité et de délicatesse.