La Galerie Cécile Fakhoury présente « Toolu Xeer – [le champ de pierre]», la principale exposition indépendante de l’artiste Binta Diaw au Sénégal jusqu’au 27 août 2022.
C’est par un titre aux inspirations diverses que l’artiste sénégalo-italienne Binta Diaw nous accueille au sein de son exposition.
« Toolu Xeer – [le champ de pierre]» en wolof est un espace emblématique et exigeant où Binta Diaw s’accroche à la matière qui l’englobe pour faire le monde. « Toolu Xeer – [le champ de pierre]», est importante pour un échange plein de tact, mais fondamental avec le sujet de la Biennale de Dakar, Ĩ Ndaffa/Forger. Ici, Binta Diaw façonne notre regard par un jeu discret de références à l’histoire du Sénégal et à l’histoire de l’art.
Au printemps 2021, de fameux soulèvements éclatent à Dakar, mettant à l’épreuve ce que leurs chefs décrivent comme un harcèlement contre l’opportunité de la société civile.
Délai lié à la pandémie, contrôle des correspondances whatsapp, vagues altérations du règlement : cette ruée de bagarres coûtera l’existence de 13 individus ; 13 esprits incarnés dans l’installation « Strange Fruit (2022) ». Une boule jauge, suspendue comme une pendule immobile qui sonne la marque de la fin de l’accord. Sous l’égide vert jaune rouge brillant, les pierres de l’outrage sont effectivement maintenues intactes… Jusqu’à ce qu’elles se brisent. En pénétrant dans la forme solide et sans faille prévue par Binta Diaw, la submersion est absolue. Pour peu que l’on tende l’oreille, au-delà de la quiétude respectueuse de l’exposition, on entend le vacarme d’un air de pierre dont les plans des luttes futures s’arrêtent, affûtés, pour leur temps. Une boule est suspendue, comme un pendu immobile, faisant résonner les notes de « Strange Fruit » de Billie Holiday, un regret de jazz sur la sujétion.
Dans la pièce suivante, une autre objection, cette fois merveilleuse et résonnante, se fait entendre. Avec une économie de sous-entendus qui décrit sa formation et reprend le courant de la modération et de l’arte povera, Binta Diaw nous transporte à un carrefour de plus jamais, celui du massacre de Thiaroye.
En décembre 1944, les tirailleurs sénégalais regagnent les quartiers militaires de Thiaroye, dans la banlieue de Dakar. La révolte gronde au motif que ces troupiers, venus des Etats français n’ont pas accepté leur indemnité. Pour avoir contesté, ils ont été tués par la force armée française dans des conditions qui sont encore douloureuses aujourd’hui. Où sont les restes de ces hommes tués par la France ? Le « 1/12/44 (2022) » est un champ de terre où les pierres des tombes sont absentes. Un champ riche, quoi qu’il en soit, où se développent les graines de notre nourriture, le millet et le maïs. Entrer dans l’espace aux noms des disparus, se promener sur le sol implique de faire face à l’histoire et à ses vides, mais aussi d’assumer l’obligation de composer de nouveaux récits.
Les échanges sur la texture, maintenus au mur comme les pages d’un livre, sont faits d’images enregistrées que Binta Diaw a tirées des magasins du Musée des Forces Armées de Dakar. Les comptes-rendus des audiences du préliminaire de Thiaroye, les termes utilisés à ce moment-là et empilés avec les restes de la philosophie, cohabitent avec des images authentiques dans une création éphémère. La lecture et la compréhension sont méritées, le travail de l’œil doit être équivalent à la complexité de l’ensemble des expériences.
Puis, dans le pilon de bois de terere, (2022), les brouillons de celui-ci, cet ensemble d’expériences maintes et maintes fois racontées par d’autres que soi, sont écrasés avec une fureur redevenue tranquille dans le brouillard léger de la pièce. L’installation est un centre de performance des habitudes où le principal emploi est féminin, véhiculé à nu et écrasé. La vision de Binta Diaw est discrète, avec un équilibre des pouvoirs. Sans brutalité, elle représente une présence : celle du métier de dames toujours. Les robes sociales sont comme des symboles, le rouge du champion et le bleu clair d’une délicate soirée de consolation. Pour planter les graines du champ, pour marteler les pensées du monde, pour faire un espace pour qu’elles se produisent. Les tireurs sénégalais ont été rejoints par leurs épouses qui ont suivi l’existence quotidienne dans les camps. En 2021, les dames de Dakar ont également fait dissidence.
« Toolu Xeer – [le champ de pierre]» est une exposition circulaire ou les installations vivantes se répondent, s’associent et se complètent. En examinant des carrefours clé de l’histoire du Sénégal, Binta Diaw nous accueille dans une belle et délicate réflexion sur le sens de la personnalité et les emplois politiques de l’homme public au fil du temps.